Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire. Il réalise des lectures-diagnostic sur les manuscrits qui lui sont confiés et partage chaque mois un de ses articles sur L’Inventoire.
« À travers une fente de la haute palissade noire », une jeune fille se faufile « jusques aux vastes, jusques aux terribles terres sauvages ». Nous nous faufilons avec elle et, dès lors, nous ne la quitterons plus, emportés sur plus de deux cent cinquante pages par le mouvement qui l’habite, toute de vitalité opiniâtre (« Plus vite, ma fille, se disait-elle […]. Dans la nuit elle courait, courait »).
Dès ces premiers paragraphes, l’essentiel de ce qu’il y a à savoir sur elle nous est donné, au fil de détails semés avec art dans le cours de l’action. On est au XVIIe siècle. « La fille » laisse derrière elle un fort abritant une petite colonie anglaise, quelque part en Amérique du Nord. C’est une servante. Elle fuit la famine, et sans doute d’autres horreurs. On retrouve pratiquement les données de base qui sont celles du Prêtre et le Braconnier, roman de Benjamin Myers (1) dont j’ai parlé récemment. Mais quand la jeune héroïne de l’écrivain britannique avançait, traquée par le duo du titre, dans les collines sauvages du nord de l’Angleterre, celle de la romancière américaine s’enfonce dans un monde neuf, où « il n’y a rien, hormis les terres, la glèbe et les montagnes et les arbres qui ne connaissent point d’histoire ». Quant au soldat envoyé sur ses traces, il se perdra bien vite en chemin. Rien ne nous occupera donc hors la course de cette énergique créature de dix-sept ans à travers une nature quasi infinie, radicalement étrangère, le second grand personnage du récit.