Au mois de juillet, toute l’équipe de l’Inventoire vous conseille la lecture de ses livres préférés. Voici 12 premiers livres à emporter sur la plage… ou à lire chez soi !
Celle que vous croyez de Camille Laurens (Gallimard, 2016)
Claire Millecam approche de la cinquantaine et atteint ce qu’elle nomme « la date de péremption ». A l’instar de Marivaux, elle provoque l’amour avec de fausses confidences en créant un faux profil facebook. Elle devient alors Claire Antanès, brune jeune femme de 24 ans…
Le livre construit dans une succession de mises en abîmes nous entraine dans le vertige d’une histoire aussi désespérée qu’insolente et on en ressort vivifiés !
Leïlah Mahi 1932 de Didier Blonde (Gallimard, 2015)
Le narrateur découvre lors d’une promenade au Columbarium du Père Lachaise la photo d’une femme sous laquelle sont gravés « Leïlah Mahi 12 Août 1932 ». Coiffée d’un turban, les épaules nues, elle joue avec son collier en fixant de ses yeux noirs l’objectif de l’appareil photo. Obsédé par le visage énigmatique de cette femme le narrateur décide de retrouver sa trace. Le récit sous forme d’essai noue le destin de la mystérieuse disparue à celui de son ami et éditeur J.B. Pontalis avec qui il partageait le goût pour les fantômes. En répondant au mystérieux regard d’une inconnue, c’est de lui-même dont l’auteur nous parle. Par ailleurs, le livre a reçu le prix Renaudot de l’Essai en 2015.
Arlette Mondon-Neycensas conduit pour Aleph-Écriture des ateliers d’écriture à Bordeaux et l’atelier Nouvelle-Instant par e-mail, ainsi que des ateliers ouverts en librairie (à Bordeaux et Bergerac).
La claire fontaine, David Bosc (Verdier Poche, avril 2016)
L’histoire est celle des dernières années de Gustave Courbet, en exil en Suisse, poursuivi en France car à l’origine de la destruction de la colonne Vendôme pendant la Commune.
L’écriture emprunte aux toiles de Courbet, à son rapport charnel aux éléments, aux rivières et aux lacs où il jetait son corps, à la sensualité avec laquelle il aimait la nature, faire la noce et vivre libre de ses choix. Les personnages, les thématiques du récit, ramènent à l’œuvre. On le suit de près dans son rapport à son art, aux femmes, aux animaux, à la chasse. Dans son désir farouche de se gouverner lui-même.
Hélène Massip est bibliothécaire et également auteur de nouvelles, de poèmes et de haïkus. Dernière publication: « Au bout du compte », dans Quelles nouvelles, Editions La Passe du vent (2004). Pour Aleph-Écriture, elle conduit la formation générale à l’écriture littéraire et des ateliers ouverts en librairie. Elle a consacré une interview à l’Inventoire sur sa double posture de poète et d’animatrice
Raymond Queneau, Saint Glinglin (Gallimard, 1948)
Un des textes les plus étonnants et les plus délirants de Raymond Queneau. Un des romans qui m’a provoqué le plus de fous rires. Si vous aimez le poisson, cet OVNI doit impérativement atterrir dans votre bibliothèque.
Virginie Despentes, Vernon Subutex (tome I et II), Editions Grasset & Fasquelle (2015, 2016)
Comme nombre de lecteurs exigeants, j’ai tendance à bouder les best-sellers. Un kiosque de gare un peu frustre m’a fait découvrir celui-ci. Et, sans conteste, Virginie Despentes est une excellente romancière, qui chouchoute tous ses personnages. Surtout les plus haïssables.
Pierre Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ? (Les éditions de Minuit, 1998)
Un essai qui se lit comme un roman policier. Qui vous baladera d’Agatha Christie à Sophocle. Un de ces textes où, sans aucune connaissance préalable, l’on se sent devenir de plus en plus intelligent — è pericoloso sporgersi.
Écrivain et réalisateur, Frank Secka conduit pour Aleph-Écriture la formation Techniques narratives, à Lyon du 18 au 22 juillet et à Paris du 22 au 26 août.
Le Grand Marin, de Catherine Poulain (L’Olivier, 2016)
« Le roulement de l’océan semblait s’être amplifié avec la nuit. Le ciel s’ouvrait comme un gouffre. ( …) Tout m’échappait. Tout était démesuré et voulait me broyer. »
Un premier roman époustouflant pour prendre d’emblée l’air du grand large, tanguer avec les pêcheurs (tempête ? soûlerie ?), repousser sans cesse ses limites physiques en se frottant aux glaces de l’Alaska et à la fraternité des hommes. L’auteur évide la condition des travailleurs de la mer dans un style âpre et sec, terriblement émouvant dans son absence de complaisance et de faux semblants. Le Grand Marin n’est pas un récit d’aventures ni celui d’une expérience, c’est un magnifique manifeste de ce qu’écrire veut dire. Par nécessité absolue.
Mafalda, de Quino (Editions Glénat, 2014))
“Il est réconfortant de voir comment peu à peu l’homme a réussi à donner libre cours à sa liberté d’interdire.”
Quino, dessinateur et scénariste argentin, a créé le célèbre comic trip Mafalda, petite fille dont la vision politique du monde me réjouit depuis toujours par sa subtilité et son analyse satirique. A ses côtés, Manolito et Susanita (entre autres) nous enchantent de leurs points de vue très opposés sur la société. De Quino, tout est à lire pour sourire et repérer le travail de la concision et de la pertinence, traitement de la gravité d’une situation avec légèreté, changements de points de vue et pour tenter le débat : pour vous, la bande dessinée, c’est aussi de la littérature ?
Peindre, pêcher et laisser mourir, de Peter Heller, (Actes Sud, 2015)
« Un bon endroit pour instaurer la paix, j’imagine, pour se recentrer et respirer. Le problème c’est que je n’ai pas juste envie de respirer. »
L’auteur apprécié de La constellation du Chien livre ici une vision virile et fragile de la condition humaine : sauvage et méditative, apaisée par la contemplation de la nature ou l’impulsion créatrice mais en même temps otage de la violence, de la douleur et de la peur. Avec lyrisme et sobriété, on pêche dans des rivières sublimes, on peint avec frénésie, on fait l’amour, on crie et combat les démons qui ne lâchent rien, à toutes forces on tente de contrôler ce qui dérape et qui s’appelle la vie.
Joana de Fréville est la directrice générale d’Aleph-Écriture et la directrice de publication de l’Inventoire. Elle conduit la formation de formateurs en écriture depuis plusieurs années. Son premier roman, Le Pas du Lynx, a fait l’objet d’un entretien publié sur la revue.
Mémoire de fille, d’Annie Ernaux (Gallimard, 2016)
L’histoire d’une première fois, si violente que l’auteure n’avait jamais pu l’écrire. En 1958, Annie Duchesne, pas encore épouse Ernaux, se retrouve monitrice dans une colonie de vacances. Elle a dix-huit ans, aspire à la vie et à l’amour. Dès la première « surpat », elle est embarquée par le moniteur-chef… La suite narre l’histoire d’une « honte de fille ». Pour l’écrire, Annie Ernaux franchit tous les obstacles qui la séparent, aujourd’hui, d’Annie Duchesne. Elle aborde un territoire brûlant de son expérience personnelle, assume l’exigence littéraire qui est la sienne : on ne se contente pas de « représenter une histoire qui fonctionne », on exerce sa pensée, critique, incisive. C’est mat, tendu, bouleversant. Je n’ai pas pu le lâcher avant la fin.
(Alain André est responsable de la rubrique « L’Atelier ouvert »).
Les vies multiples d’Amory Clay, de William BOYD (Seuil, 2015)
On croit d’abord à une bonne grosse biographie, consacrée à la vie d’une photographe anglaise (1908-1983). Récit à la première personne, photos en noir et blanc reproduites en grand nombre, tout concourt savamment à la crédibilité de l’histoire. Une femme, réussissant dans une profession traditionnellement masculine, le Berlin des années folles, les fascistes anglais, la Seconde guerre mondiale, celle du Vietnam, les communautés hippies en Californie, tout est fait en outre pour séduire les lecteurs, c’est le vingtième siècle entier qui défile. L’écriture est « plate », il y a un vrai sens du suspense, et toutes les ficelles du « creative writing » à l’américaine, ça semble conçu pour la plage, sauf que. Boyd, en vérité, a trouvé dans les brocantes et dans sa collection personnelle les photos qui correspondent aux différents moments de la vie qu’il a inventée à ce personnage imaginaire, Amory Clay. Entre autobiographie et roman, l’illusion est parfaite. Ce coup-là, narratif, est un coup de maître. Si vous rêvez d’utiliser des photos en écrivant, ce roman est fait pour vous.
Être ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, de Marie Darrieussecq (P.O.L., 2016)
Paula M. Becker est peintre. Elle est connue en Allemagne, beaucoup moins en France. Une exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (accompagnée d’un catalogue passionnant) et une brève biographie de Marie Darrieussecq se chargent cette année de faire découvrir sa vie et son œuvre aux Français. Elle peint à la charnière de l’impressionnisme tardif et de l’expressionnisme, dans une grande solitude. Elle aime les saules en chatons, les colliers d’ambre, les confettis qui s’accrochent aux chevilles. Elle fait quatre voyages à Paris où elle découvre la peinture moderne, Cézanne, Gauguin, mais aussi l’art « primitif », les portraits du Fayoum. Elle écrit pour s’inventer, un journal, des lettres, à son mari Otto Modersohn, à son amie Clara Westhoff et à son mari, Rainer Maria Rilke. Elle peint. Des portraits d’une simplicité sibylline, d’enfants, de mères allaitant, de la peintre elle-même, nue, ni Madone ni odalisque : une femme. Aucune facilité narrative, simplement l’essence des choses. Elle conduit une expérience jusqu’au bout, tant pis s’il est plus simple d’être un homme et un paysagiste de province, comme son mari. Variant les supports, l’épaisseur parfois impressionnante de la pâte. Elle quitte tout à trente ans, revient vers son mari, meurt à trente-et-un, dix-huit jours après la naissance de son enfant, d’une embolie. Elle dit : « Schade ! » (« Dommage ! »). Sa peinture est miraculeuse. La biographie de Marie Darrieussecq juste, lumineuse. Il faut la voir, la lire, on sent la grâce.
Fondateur et directeur pédagogique d’Aleph-Écriture et écrivain, Alain André conduit différents stages et formations à La Rochelle. Il est responsable de la rubrique Atelier Ouvert de l’Inventoire.