Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire. Il réalise des lectures-diagnostic sur les manuscrits qui lui sont confiés et partage chaque mois un de ses articles sur L’Inventoire.
Dans le premier roman de Marie Vingtras (1), un enfant disparaissait pendant une tempête de neige, en Alaska. Dans celui-ci, on retrouve le corps d’une jeune fille flottant, comme celui d’Ophélie, sur les eaux de la rivière qui traverse une petite ville américaine. Encore un roman américain !… J’ai déjà eu l’occasion de m’interroger (2) sur la curieuse manie, chez certains écrivains français, consistant à feindre l’appartenance à un autre pays, à une autre culture, et, bien qu’ils écrivent en français, à une autre langue. De préférence l’anglais des États-Unis. Ceux-ci seraient-ils devenus, dans l’esprit de nos auteurs, le pays du romanesque ? Seraient-ils plutôt, on frémit à le supposer, le pays des séries américaines ?…
On se pose ces questions en abordant, avec un peu d’agacement, ce qui s’annonce d’abord comme étant de l’ordre du pastiche. Puis, peu à peu, on oublie que l’auteure est française. C’est qu’elle fait bien son travail d’écrivaine américaine, Marie Vingtras. C’est-à-dire aussi son travail d’écrivaine tout court. Au point qu’on finit par se dire que, mon Dieu, si cet emprunt d’une identité transatlantique est, comme son pseudonyme emprunté à Vallès, le masque nécessaire qu’elle doit porter pour écrire… pourquoi pas.
Chacun son roman
Dans son roman, il y a quatre romans. Il y a l’histoire de Lauren, la shérif de la ville. Elle mène l’enquête sur la mort d’Ophélie, laquelle, en fait, s’appelle Leo. Lauren voudrait « pouvoir sauver toutes les femmes, surtout celles qui ne rentr[ent] pas dans les clous ». Cependant la femme de sa vie, Janis, aimerait qu’elles aient un enfant, et elle non. C’est là son problème.
Le problème de Benjamin Chapman, c’est sa mère. Celle-ci s’applique avec tant d’efficacité à façonner la vie de son fils que ce dernier n’a d’autre ressource que de la détruire, à coups de liaisons à haut risque avec des adolescentes mineures. C’est après une telle aventure qu’il a dû quitter New York et son existence brillante de jeune auteur à succès pour aller se terrer dans la ville des Âmes féroces, en tant que… professeur de lycée. Drôle d’idée. Surtout que « même dans les coins perdus la vie vous joue des tours et rebat les cartes » : parmi ses élèves, il y aura Leo et Emmy.