Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka et figure parmi les dix textes sélectionnés.
Marc Théobalt
Leila
Elle se souvient des rues gorgées de soleil, des maisons blanches, des cavalcades pieds-nus avec les autres enfants, près de la mer chaude, là-bas.
Elle se souvient des journées torrides où, rompue de chaleur, elle s’allongeait, dans la pénombre de la salle, sur les grandes banquettes vieux-rose. Elle se rappelle comment, sirotant son jus d’orange pressée, elle détaillait, interminablement, les grands motifs du carrelage qui couvrait le sol et les murs, en attendant le soir.
Elle se souvient des étreintes de Mémée, l’enfouissant contre sa poitrine, à lui faire mal, lui murmurant « ma princesse ». Elle se rappelle leurs larmes mêlées sur ses joues.
Elle se revoit dans la cité grisâtre et froide, avec des chaussures aux pieds, au milieu de cette famille nombreuse, avec cette dame qui disait être « maman », alors que Mémée n’était pas là.
Elle se revoit, dans l’appartement étroit, forcée au ménage, à s’occuper des petits, à aider à la cuisine, et comment elle se taisait en serrant les dents.
Elle se souvient de ces jours sombres où réfugiée sur son lit, elle regardait dehors le ciel lourd, et comment tant de pluie la faisait pleurer.
Elle se souvient de l’insouciance retrouvée, dans la cour de l’école, sous les platanes, des parties de chat perché, des cris des filles, et des garçons aussi. Elle se souvient des leçons, et de sa rage à les apprendre. Elle se souvient comment elle comprit, cette année là, que dans ces salles de classes austères résidait la clé de sa liberté.
M.T.