Par Alain ANDRÉ

Bien sûr, il y a la lecture. J’ai écrit un jour une autobiographie en une page, qui était mon autobiographie de lecteur.

Mais il y a aussi la lecture publique. L’envers de l’autre. Une lecture qui n’est ni solitaire ni muette, comme celle qui domine depuis que l’évêque Ambroise en a fait le pendant de la lecture publique, à voix haute, des textes bibliques, mais au contraire ouverte, une activité de don et de partage, où l’oralisation, entendue comme mise en voix, occupe une place essentielle.

Je l’ai découverte en 1984, en écoutant une émission à France-Culture que j’ai enregistrée, et dont par miracle j’ai conservé jusqu’ici la cassette. Elle est consacrée au poetry reading américain. On peut y entendre des mises en voix d’Allen Ginsberg et de bien d’autres. Pour écrire ce texte-ci, il aura fallu d’abord que je la re-écoute et me souvienne que c’est récemment, à travers l’Institut de poésie de Vienne, la Schüle für Dichting d’Ide Hintze, que j’ai redécouvert les travaux de la Jack Kerouac Disembodied School of Poetics. C’était une découverte aussi radicale, quoique moins immédiatement importante, que celle des ateliers d’écriture quelques années plus tôt, en 1977. C’en était l’évident complément.

Lire en public constitue une activité, ou un acte, moins proche de l’écriture que de la prise de parole publique. Elle est le chaînon manquant entre les deux activités. Je suis depuis toujours un enfant de militants et de professeurs : un parleur. C’est l’une des deux faces, avec les ateliers d’écriture, de mon activité de passeur.

Il a fallu longtemps pourtant avant que je me mette vraiment à la lecture publique. J’en avais l’envie : je l’éprouvais en écoutant d’autres lire leurs propres textes, ou quand je lisais pour de petits groupes les extraits de textes littéraires que j’utilisais afin de susciter leur écriture, ou encore à l’occasion des lectures de comédiens organisées par Aleph-Écriture dans le cadre du Temps des livres avec l’association Vivre de Catherine Stahly-Mougin.

Je me suis mis à lire à l’occasion dans le cadre d’Aleph, une fois ou deux, mes propres textes : à la librairie Dédale, des extraits d’un manuscrit de roman en cours; puis certains de mes tautogrammes de L’Archipel amoureux, avec jubilation. J’aimais lire aussi les textes des autres : à Dédale encore, pour une lecture croisée de nos essais sur les ateliers,  avec Nicole Voltz et Isabelle Rossignol ; et à Aleph toujours, avec un montage collectif de textes de la littérature portugaise (Anne Couprit avait chanté du fado en s’accompagnant elle-même à la guitare) ; et hors d’Aleph, à partir de la publication de Rien que du bleu ou presque, en 2000, pour les libraires invités par Denoël puis pour cette lecture que j’avais imaginée, avec Isabelle Rossignol et Daniel Arsand, à la MJC Mercœur, et dans tant d’autres occasions.

J’ai aimé, assez pour participer à partir de 2002-2003, dans le cadre d’un groupe de travail d’Aleph, à tout un programme expérimental de lectures de nature assez diverse, à l’enseigne des Texteurs. Là, nous avons pu travailler avec Sylvie Chenus, comédienne, dramaturge, passeuse exquise de ce que peut être la lecture à voix nue. J’ai pu avancer un peu dans ma pratique de lecteur – être un peu moins prof, sans doute – et procéder à des montages de textes, ce qui signifiait une semaine entière de travail bénévole sur une œuvre, de François Bon ou d’Annie Ernaux notamment, pour aboutir à une petite heure de lecture publique.

J’aimerais, un jour, organiser une lecture de type carte blanche, où je donnerais exclusivement les textes que j’aime profondément : ma collection secrète, mon collier de perles. Ce serait comme la lecture de mes propres textes, aussi jubilatoire, et pourtant il n’y aurait pas un mot de moi.

A.A.

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