À l’occasion du stage « Proust, l’écriture et la vie » dans la maison de Roger Martin du Gard, du 27 au 30 juin à Belforêt-en-Perche, nous avons interrogé sa créatrice et animatrice, Renée Combal-Weiss qui nous fait découvrir Proust autrement.
L’Inventoire : Peut-on commencer par retracer votre parcours ?
Renée Combal-Weiss : Il est fait de choses très différentes ! J’ai commencé en tant que professeure de lettres avant d’être journaliste dans la presse professionnelle de communication. Quelques années plus tard, je suis entrée à Amnesty International et cela m’a amenée à devenir lobbyiste au Parlement européen. L’écriture me travaillait depuis toujours et je me suis mise à participer, pour le plaisir, à des ateliers Aleph. Puis, mes enfants étant partis de la maison, et après 18 ans de travail au service des droits humains, j’ai démissionné d’Amnesty. J’avais envie de revenir dans l’univers qui m’intéressait, celui de l’écriture.
On se met au service de l’écriture. Puis, on s’occupe de la technique et on chemine vers le lecteur, vers l’Autre.
Vous avez donc choisi le métier d’animatrice d’ateliers d’écriture…
Oui, je m’y suis formée chez Aleph l’année de ma démission et j’ai développé mon activité autour des ateliers. Avec jubilation ! Dans animatrice, il y a anima, l’âme. À chaque fois, par le biais de ce dispositif magnifique qu’est l’atelier d’écriture, j’ai l’impression de rejoindre chacun des participants ; dans le respect, la bienveillance, et la rigueur aussi, parce qu’on n’est pas dans le déballage. On se met au service de l’écriture. Une écriture qui procède d’abord du sensible. Puis, on s’occupe de la technique et on chemine vers le lecteur, vers l’Autre. Cela s’appelle créer.
Depuis quelques années, vous animez une résidence d’écriture qui prend appui sur l’œuvre de Marcel Proust. Quel est votre rapport à cet auteur ?
Mon père était féru de littérature et certains grands auteurs chéris de lui sont restés, pour moi, totalement inaccessibles. Chateaubriand faisait partie de ces intouchables. Proust aussi. Mais un jour, des amis qui habitaient près d’Illiers-Combray (le village d’Eure-et-Loir qui est le théâtre de la première partie du roman À la recherche du temps perdu) et qui connaissaient quelques membres de la Société des Amis de Marcel Proust, m’ont proposé : « Ça t’amuserait de faire un atelier dans sa maison de famille ? » Comme un défi personnel, je me suis dit « Allez, on y va ! ». J’ai donc empoigné La Recherche et, progressivement, je me suis attaquée à la forteresse.
Qu’est-ce qui vous touche dans ses textes ?
Proust, c’est la mémoire involontaire, la réminiscence. À partir de là, il exprime une perception du monde extrêmement affranchie. Quand on se penche sur son écriture, on découvre la liberté incroyable qu’il prend avec les images, les associations. Je pense, par exemple, à cette page célèbre où il décrit la vue sur la mer depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel à Balbec : toutes les métaphores appartiennent au champ lexical de la montagne. Qu’il se paie le culot de ce paradoxe m’éblouit. Derrière cela, c’est son rapport à l’image qui m’intéresse. Cette projection sur la seule base d’un ressenti singulier. En cela, Proust fait partie des auteurs grâce à qui l’on est passé, au XXe siècle, d’une approche collective ou sociétale de l’écriture à la littérature de l’individu.
La leçon qu’il nous donne, c’est que, par l’écriture, on peut s’autoriser à accéder à soi-même.
C’est ce qui est exploré durant le stage « Proust, l’écriture et la vie » ?
Pour beaucoup, Proust est un monument qui intimide. À l’occasion de ce stage, je souhaite montrer qu’il convoque dans son écriture ce que nous avons tous : le sensible, l’expérience du monde grâce aux cinq sens et à l’intuition. C’était sa façon de procéder, à la fois très personnelle et universelle. La leçon qu’il nous donne, c’est que, par l’écriture, on peut s’autoriser à accéder à soi-même. Le stage invite les participants à se mettre dans les mêmes dispositions que lui par rapport à leur sensibilité propre, à leur histoire intérieure. Pas du côté de la confession ni de la confidence, surtout pas, mais du côté du ressenti. Voilà pourquoi, de la même manière que je ne revendique aucune érudition sur Proust, il n’est pas nécessaire de connaître son œuvre pour s’inscrire.
Pour la première fois cette année, le stage se déroule dans la demeure d’un autre écrivain, contemporain de Proust, Roger Martin du Gard…
L’occasion s’est présentée et c’est une coïncidence qui m’enchante ! Évidemment, on ne peut pas trouver deux auteurs plus opposés dans la même époque. Roger Martin du Gard peut paraître démodé aujourd’hui et je le regrette, parce que la fresque magistrale des Thibault agrège des questions d’une modernité étonnante. Je l’ai lu à 16 ans et je l’ai toujours adoré. Le château du Tertre est un endroit particulièrement inspirant. J’y ferai, à la marge du stage sur Proust, un rapprochement inédit entre les deux hommes qui permettra de mesurer à quel point leurs mondes, ressentis et transfigurés par l’écriture, sont différents. Proust et lui étaient pourtant du même milieu, ils vivaient au même moment de l’évolution de notre société et de l’Histoire. Ils ont tous les deux écrit sur la guerre de 14. Les mettre en écho est tout à fait savoureux…
L.M.
Résidence « Proust : l’écriture et la vie » dans la maison de Roger Martin du Gard, du 27 au 30 juin à Belforêt-en-Perche (Orne). Informations et inscriptions ici.