Vos textes à partir de « Retards légendaires de la photographie »

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Crédits photographiques: Betweeners

Voici le texte de Manon, écrit à partir de la proposition de Françoise Khoury inspirée du livre de Thierry Froger « Retards légendaires de la photographie » (Flammarion, 2003).

« Attendez le soir et dans une pièce refermez la porte ; allumez l’interrupteur, puis éteignez quelques secondes plus tard. Allumez, éteignez. Ainsi, par intervalles de quelques secondes, la lumière apparaît puis disparaît et replonge la pièce dans l’obscurité. Agissez ainsi pendant un moment, jusqu’à ce que les images de ce que vous avez sous les yeux, bien cernées par l’éclairage, se mêlent à celles qui surgissent lorsque tout est noir. Écrivez ce double regard et envoyez-le nous en un feuillet ».

Quand on éteint la lumière

Quand on éteint la lumière, lorsqu’on se prête au jeu plusieurs fois, il y a d’abord des taches de clarté qui viennent danser devant les yeux. C’est cela que je retiens, ces couleurs qui restent là, encore dansantes dans les pupilles pour quelques instants. Ces éclaboussures demeurent, alors que le noir est complet. Et puis quand on rallume, nos yeux ont de nouveau besoin d’un temps, un léger, un minuscule délai avant de percevoir la pièce de nouveau avec précision, nuance et clarté. Plusieurs fois je me suis livrée à l’exercice, dans la lumière je détaillais point par point ce qui m’entourait, dès l’obscurité faite, il y a des bribes de ma journée qui réapparaissaient, des fragments de quotidien qui s’imposent et qui défilent, là, faute d’éclairage, devant mes yeux. C’est comme si ma tête prenait le relais de l’absence de clarté. Comme si le regard se tournait alors vers l’intérieur  pour meubler cette obscurité. Parce que la vérité c’est que la nuit effraie et si dès leurs plus jeunes âges les enfants ont peur du noir c’est bien que ce sont les seuls à avoir compris. Depuis longtemps, des années, j’ai toujours voulu laisser les volets de ma fenêtre ouverts. Probablement pour atténuer cet effet de la lumière que l’on éteint. Ce brusque passage qui fait basculer la vie m’a toujours impressionné. Il faut un point lumineux, quelque chose, presque rien, pour que mes yeux trouvent refuge lorsqu’ils fouillent l’obscurité, juste un petit échappatoire pour ces moments où ce qui couve sous ma peau reprend le dessus. Alors souvent je laissais les volets ouverts, la lumière allumée et j’imaginais qu’au loin on ne devait voir que cette frêle lueur dans l’obscurité et cette idée me plaisait. N’apercevoir que cette ultime clarté. Cette fenêtre qui feignait d’être vivante, cette fenêtre ouverte qui gardait un œil sur la vie, un œil sur les passants, les déboires de la nuit. Elle restait ouverte sur le monde, se laissant happer par les ombres, écoutant la nuit, sondant l’obscurité. Quelques fois pourtant cette opacité me semblait limpide. C’était la nuit nébuleuse remplie d’imprévus. Les volets demeuraient toujours grand ouverts sur la Lune et ses mystères infinis, la noirceur transparente et son silence. Silence angoissant. Silence rassurant. La nuit et son extravagance. La nuit, les interdits semblent moins difficiles à franchir, la vie prend une autre direction alors la petite fenêtre et mes yeux restaient ouverts, éveillés. Je faisais partie de ces intrépides, ces aventuriers qui prennent le crépuscule à bras le corps. Ceux qui sortent tout le courage de leurs poches pour regarder l’opacité dans les yeux, et la défier. Encore une fois. Ce sont ces mêmes enfants qui tremblaient quand il fallait éteindre la lumière et réclamait une autre histoire. Les mêmes, sauf qu’un jour tous les enfants grandissent. Parfois, ils deviennent des intrépides et veulent jouer des coudes pour combattre le vide. Défier la nuit. Encore une fois.

Ce jeu de lumière me rappelle mes nuits d’insomnies et les trêves que l’on guette, les nuits qui m’ont parfois semblé trop noires et mes peurs de petite.

 Manon

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