En réponse à notre appel à écriture, « À table », Valérie M. a photographié et Nathalie Gorce a écrit.
Louise avec ses 97 ans pouvait toujours s’asseoir en tailleur ; plus jeune, je me disais que si je devais vieillir, c’était comme elle.
Déjeuner sur l’herbe ce 11 mai avait le goût libertaire des premiers congés payés; Louise, je ne l’avais pas vue depuis 55 jours. J’avais choisi la nappe, les assiettes et l’emplacement à l’ombre du marronnier presque centenaire.
J’aimais mettre mes mains dans le riz sous l’eau pour le refroidir. Je taillais avec soin les poivrons et les tomates en petits morceaux réguliers. Les oeufs, je les cuisais au dernier moment pour le contraste au palais entre le tiède et le froid. Les olives, je les voulais noires et charnues. J’ajoutais à la fin le thon que j’émiettais délicatement.
La sauce, je la faisais tout comme Louise : un mélange d’huile d’olive préssée à froid et de moutarde en grain montée presque en mayonnaise avec de la coriandre. Je dosais la fleur de sel en goûtant.
Ce jour là, j’avais fait la salade de Louise pour Louise et le jeu était de deviner comme elle aimait à le faire avec moi petite, l’ingrédient secret avec les yeux masqués. Elle avait trouvé tout de suite : » Framboise! » elle avait crié. Bien sûr, on avait ri puisque c’était aussi le petit nom qu’elle me donnait depuis toujours.
Aujourd’hui, j’ai retrouvé dans la malle, la carte que je lui avais envoyée. J’ai presque l’âge du marronnier. Plus personne ne m’appelle Framboise. Déguster la salade de Louise, assise en tailleur sur l’herbe, reste ma parenthèse enchantée.