En réponse à notre appel à écriture, « À table », voici un texte et une photographie de Christelle Destombes
Les îles flottantes de ma grand-mère
Mamie fouette les blancs d’œuf, avec poigne. Elle n’a pas de batteur électrique, mais les mains d’une lutteuse soviétique, des « mains rudes ». Elle a battu les jaunes avec du sucre, saupoudré « a vista de nas », c’est de l’occitan. Elle verse délicatement le lait crémeux chaud, la vanille infusée, sur les jaunes, fouette, et remet le tout sur feu doux.
C’est Pâques demain. On ira à la messe, elle y jouera de l’harmonium pendant qu’on se caillera les miches sur les bancs de bois brut. C’est une étape obligée si on veut goûter les îles flottantes, qui refroidiront bientôt sur la fenêtre.
Elle tourne la crème, toujours dans le même sens, avec une régularité de métronome. Elle la verse dans une bouteille en verre, la ferme, secoue comme un shaker.
Les blancs sont fermes, elle y ajoute un peu de sucre (« a vista de nas »), renverse le saladier, miracle, rien ne glisse sur le sol de la cuisine ! J’ai le droit de lécher la crème sur la cuillère ; la vanille chaude m’explose en bouche.