En réponse à notre appel à écriture, « La maison farfelue », voici un texte et une photo d’Isabelle Gonse
Le monde d’en bas
À pas de loup, je gravis les marches du vieil escalier en pierre, je me dirige vers la lourde porte en bois où figure le nom du prospectus, « Maitre Tougrigri, expert du monde du dessous ». Je tire la cordelette, la cloche retentit comme un gong éraillé, la porte s’ouvre sur un visage couvert de poils, il émet un grognement, une patte velue me fait signe d’entrer et de m’asseoir par terre. La cérémonie a commencé, je me tapis dans un coin, à l’écart du cercle de mes congénères. Un ours bedonnant, les deux mains posées sur sa panse, une poulette blanche qui agite son maigre cou dans tous les sens, une biche au regard doux, un fauve aux muscles saillant sous son costume rayé, et quelques spécimens qui me fixent d’un air suspicieux. Une odeur âcre me prend à la gorge, sauge et clou de girofle, on se croirait chez le dentiste, aux murs des instruments en métal, des masques africains et de chirurgiens, des têtes d’animaux empaillés… Je transpire, pas rassuré, que suis-je venu faire dans cette tanière, mais trop tard pour reculer, le verrou de la porte s’est refermé et le Maitre des Lieux a rangé les clés au fond de sa poche. Sur son épaule, une buse me fixe de ses petits yeux noirs. J’ai intérêt à me tenir à carreau ! « Vous allez voyager dans le monde d’en bas, à la rencontre de votre animal totem. Ayez confiance, il va vous guider… Mais gare à vous si vous vous retournez ! Et maintenant, fermez les yeux ! » Ce sont les dernières paroles de Maitre Tougrigri, qui frappe son tambour sur un rythme lancinant, les battements s’accélèrent, sa danse aussi, son visage et sa voix se déforment… J’ai envie prendre mes pattes à mon cou, mais je reste cloué au sol. Je ferme les yeux, cherche le passage vers le monde d’en bas, un tunnel, une mare, un trou de souris, n’importe quoi… Avant de plonger dans les abîmes, je suis frappé par un éclair de lucidité : « Au point où j’en suis, autant aller jusqu’au bout. Cette aventure m’a tout de même couté 150 euros, payables d’avance sur Paypal ! »