En réponse à notre appel à écriture, « Classer / reclasser les livres de ma bibliothèque», voici un texte et une photo de Brigitte Dujardin. Merci à elle !
Choisie avec soin en bois clair avec planches modulables, elle regarde sa nouvelle bibliothèque installée derrière le lit à proximité de la pièce à vivre. Dans ce studio loué dans une résidence pour personnes âgées autonomes, elle range.
Tous les cartons de livres sont numérotés en fonction du nombre des étagères. Elle commence par celle du haut :
Elle y pose les romans Collections Rouge et Or lus dans l’enfance, écrits par des femmes comme Louisa May Scott et son célèbre livre Les quatre filles du docteur March, Renée Aurubou avec Eglantine des Chemins. Ceux de la Comtesse de Ségur écrivant des histoires morales d’enfants « bien nés » mais indisciplinés comme Sophie. Elle rajoute tous les albums de Lisette et son héroïne préférée Betty, chef du groupe des filles « Les belettes » contre les « Loups rouges » insupportables garçons.
La deuxième planche soutient les romans campagnards de Georges Sand, La case de l’oncle Tom d’Harriet Reecher Stowe qui lui tirait des larmes mais aussi les romans des sœurs Brontë, surtout celui d’Emily « Les Hauts de Hurlevent » et son personnage Heathcliff effrayant. Les livres de poche circulaient sous le manteau entre filles recluses dans un pensionnat de province. La vieille dame sort du carton les rescapés, la plupart écornés et lus sans modération au début des années 60. Des romancières aimées comme Colette, Françoise Sagan, Béatrice Beck mais aussi tous les Agatha Christie et les enquêtes du frère Cafdael d’Ellis Peters.
Le rayonnage de la troisième contient les pages reliées de « brûlots » qui ont changé le cours de sa vie. Christiane Rochefort avec Le repos du guerrier, Les stances à Sophie et ses romans jusqu’à La porte du fond. Elle caresse les couvertures des Folio éditant tout Simone de Beauvoir : Le deuxième sexe, ses mémoires, les Mandarins et les autres lus avec fièvre et déférence. Elle n’oublie pas Du côté des petites filles d’Elena Gianiti Belloti, Les femmes s’entêtent, édité dans la revue des Temps modernes, avril- mai 1974.
La quatrième étagère supporte ses rêves avortés d’écriture avec Virginia Woolf. Eblouie en lisant par hasard Mrs Dalloway, elle dévorait ses romans, ses essais, ses journaux. Les trois Guinées et Une chambre à soi l’ont guidée dans son quotidien. Le Commun des lecteurs l’entraînait dans la découverte d’autres auteurs et autrices du temps passé et des contemporain(e)s de cette grande dame. C’est sa pépite d’or ! Le moindre opuscule de Virginia Woolf, elle le rajoutait sur le rayonnage, insatiable.
Sur la dernière plus large que les autres, elle empile en tas les livres empruntés dans les bibliothèques des communes de proximité, ceux prêtés par ses ami(e)s et les derniers achetés d’occasion. La recluse de Fred Vargas côtoie Qu’est-ce qu’une vie bonne de Judith Butler, Femmes et savoir de Nicole Mosconi et des nouvelles de Patricia Highsmith.
Quand elle a terminé son classement, la vielle dame fait un tour dans les pièces communes de la résidence. Dans un coin du salon, elle remarque une armoire vitrée avec des livres de toutes les hauteurs et balaie du regard les titres proposés………