En réponse à notre appel à écriture, « Classer / reclasser les livres de ma bibliothèque», voici un texte et une photo de Aude Le Lidec.
Marianne et les livres
Ranger des livres. Serait-ce le plus beau des oxymores ?
Les livres offrent une échappée belle et un remède aux maux de l’existence, et en ces temps de confinement, ils restent pour Marianne de doux baumes face à l’enfermement et aux malheurs de ce monde en furie.
Pourtant, ranger, classer, faire place nette, a été de tout temps pour cette amoureuse des livres la pire des punitions. Famille, amis, collègues de travail… Ceux qui la connaissent un peu ont dû supporter son allergie congénitale à l’ordre et au rangement. Et depuis des années, pendant que son mari range, Marianne lit. Puis elle dérange, et il lit. Le cycle des saisons est une mécanique désordonnée de lecture et de rangement. La lecture pour tous et surtout pour elle, le rangement pour les autres.
Alors, dites-vous, ranger des livres… Il y a quelques mois, une grande lectrice de ses amies a proposé à Marianne un outil numérique pour classer sa bibliothèque. Une foultitude de critères y sont intégrés, du peu qu’elle a étudié l’outil : auteur, style, collection, époque…
Mais Marianne a rapidement touché du doigt l’horreur de la chose et une grande tristesse l’a envahie. Certains ont-ils décidé de classer ce qui est la vie même, le désordre des idées et des sentiments ? Ranger ses livres, c’est se priver du plaisir de chercher des heures et de savourer à l’avance, comme une attente du plaisir, celui que l’on va choisir à la volée. C’est se priver de racheter pour la troisième fois L’Avare ou Madame Bovary pour ses têtes blondes car on ne le trouve plus, mais on sait qu’on l’a. Classer ses livres, c’est se priver de la rêverie au fil des titres, de se blesser avec une pile de livres dans un coin, douce blessure et de l’enivrement de la redécouverte.
Oui ranger ses livres, pour Marianne c’est un oxymore. Pas pour vous ?
Aude Le Lidec