En réponse à notre appel à écriture, «Les trésors enfouis de la maison», un texte et une photo de Anne Domecq.
Les trésors enfouis de la maison Ce soir-là, j’étais de passage chez mon amie L., amie de toujours, artiste belle et généreuse. Elle venait d’emménager dans une vieille maison d’un tout petit village au fin fond de la Haute-Loire. Nous avons toujours eu l’habitude de parler des soirées entières jusqu’au petit matin. Elle venait de m’expliquer par quel heureux concours de circonstances, elle venait de trouver cette petite maison en plein cœur du village avec à l’intérieur tout ce qu’il fallait pour vivre décemment : des meubles, de la vaisselle, du linge de maison.
Tout était de grande qualité et en parfait état car ses propriétaires très âgés venaient d’entrer depuis peu de temps en maison de retraite. Alors elle me dit sur un ton de confidence: mais tu sais, je crois que ces gens appartiennent à des familles très aisées, des gens qui ont beaucoup voyagé et entreposé au grenier leurs malles au fil des ans. Je suis sûre qu’il y a des trésors dans ce grenier. Tu veux qu’on aille voir? Il était bien trois heures du matin, et sans hésiter j’ai accepté. Elle en était enchantée.
Nous voici donc avec chacune une lampe à la main, sortant de la maison, car pour accéder au grenier, il fallait emprunter un escalier extérieur. Une petite porte de bois en permettait l’accès. C’était une immense salle dans laquelle on pouvait se tenir debout et par chance, on a trouvé l’interrupteur tout de suite près de l’entrée. Le sol était un plancher parfaitement conservé. Il y avait de la poussière mais aucune odeur de moisissure. La pièce était pleine en effet de malles, de boîtes, de cartons et de cageots. Tout était bien ordonné. On sentait comme l’avait suggéré mon amie L. qu’il s’agissait de familles très à l’aise.
Cette maison était peut être une maison de famille dans laquelle les uns et les autres déposaient pour quelques temps des effets personnels entre deux voyages. C’était drôle, il y avait des cagettes pleines de bouteilles de Cointreau, ces bouteilles à la base carrée, toutes vides et propres parfaitement rangées. Au moins trois cagettes. Des cartons enveloppés dans du papier Kraft et ficelés. Des piles de journaux, des piles de magazines Jour de France, et de belles malles de cabine. Quelques meubles démontés. Des chapeaux. Des tableaux. Des jouets beaucoup. Un cyclo- rameur en métal comme celui que j’avais eu enfant chez ma grand- mère et qui permettait d’avancer en appuyant sur les pédales avec les pieds tout en actionnant le double guidon avec les mains. Des raquettes de tennis, un berceau de poupée en rotin sur petites roulettes, copie conforme en tout petit format du berceau de mon petit frère, un landau de poupée magnifique avec de grandes roues à rayons et des amortisseurs pour la nacelle. Il y avait à l’intérieur, un matelas, un coussin, un drap en dentelles et une couverture en laine. Le poupon était en celluloïd avec des yeux qui s’ouvraient et se fermaient et ses cheveux moulés dans la masse.
Dans une très belle boîte, il y avait une magnifique poupée aux cheveux longs. Dans une petite valise en carton avec des motifs pied de poule, on a découvert toute la garde robe de la poupée. Chaque vêtement était propre, repassé et enveloppé dans du papier de soie. Avec soin, on ouvrait et on replaçait ensuite chaque objet tel qu’on l’avait trouvé. Chaque fois on s’exclamait oh viens voir… On a même trouvé un gramophone pour enfant, avec toute une série de 45 tours pour enfant aussi. Une machine à coudre pour enfant. Chaque fois, j’essayais d’imaginer ces jouets entre les mains de leur propriétaire.
Dans un autre coin de la pièce, il y avait des papiers, des diplômes et des papiers plus personnels auxquels on n’a pas touché. Depuis quand ces objets sont- ils entreposés dans ce grenier? Où sont leurs propriétaires? Qui sont- ils? Qui étaient- ils? Ces objets donnent à voir une partie de leur histoire mais une infime partie seulement. Tant de greniers recèlent des trésors ainsi.
Je garde un très bon souvenir de cette expédition nocturne un peu irréelle par son heure tardive. On a passé deux ou trois heures à explorer les lieux. Avec un petit quelque chose de grisant, presque un petit goût de l’interdit. C’était un peu ce dont j’avais rêvé enfant quand j’avais lu le mystère du vieux manoir d’Enid Blyton.