Immédiatement ce roman nous saisit par son écriture organique, qui épouse les mouvements de l’âme et se fond dans les pas du tango distancié, sensuel, rapproché- fondu. Le tango comme métaphore de la vie et de la mort. Tout est à la fois distance et inclusion dans ce roman, amour et désespoir.
L’œil de la photographe, celui du peintre, le mouvement des corps dans la danse, le souvenir de la mort, le présent de la maladie. Comment encore danser ? Ne serait-ce pas la seule chose possible quand on a tout perdu ? Perte si grande qu’aucun des personnages n’est nommé. Il y a bien le non argentin : nommé par ce qu’il n’est pas.
On se souvient de La Persane de Thomas Bernhardt (« Oui ») ou de La Catalane de Peter Handke (« La femme gauchère »), désignations quasi romantiques. Le non argentin nous échappe tout en nous capturant dans son mystère. Ainsi, au long de ce roman sophistiqué, la nature réelle des êtres et des événements se tresse souterrainement. Les arts sont convoqués : la musique très présente, la danse, la photographie, la peinture, la tauromachie comme art de l’extrême combat. On comprend que l’auteure connaît les formes auxquelles elle recourt. Elle en use avec une intensité poétique exacerbée.
Dans ce livre où l’air manque pour être heureux, pour « être », tout simplement, les personnages s’organisent un espace de survie, pas à pas, à pas de lynx, en toute beauté, car ils en connaissent, l’un et l’autre, le prix.
C.T.
« Le Pas du lynx », Joana de Fréville. Editions Les Allusifs (2015)