Si l’on vous proposait d’exaucer tous vos désirs, souhaiteriez-vous les voir réalisés si vous en ignoriez la contrepartie ? Dans son nouveau roman « Faust à la plage », Pierre Ahnne s’attaque à l‘épineuse question de la destinée, déguisée sous la forme d’un Satan débonnaire à première vue inoffensif, qui s’ingénie à réaliser les désirs d’un héros peu enclin à les formuler.
Lorsqu’habillé d’un manteau pied-de-poule et d’après-skis, S. se matérialise dans le salon de notre héros – un quinquagénaire fraîchement célibataire qui ne supporte aucun bruit -, il lui propose de transformer radicalement sa vie. Mais S. tombe sur un os car notre héros se pose trop de questions; et notamment celle-ci : même coincé dans un quotidien anonyme et terne, que vaudrait une vie dont l’accomplissement ne serait pas le produit de choix personnels ?
Partagé entre le désir de se lancer dans l’inconnu de désirs qu’il ne sait pas avoir, et l’irrésistible attrait de la passivité, notre héros arpente les plages d’une station balnéaire normande hors saison, en attendant de savoir quoi faire. Mais le diable met sur sa route une mystérieuse agente immobilière. Ensemble, ils visitent des maisons qu’ils espèrent vides. Cette fois, l’imprévu sera au rendez-vous.
« Moi, la méthode de Margot me convenait, puisque je ne comptais pas vraiment acheter peu importait qu’elle sût ou non vendre. Tout ce que je demandais, c’était de pouvoir errer tranquillement dans des domiciles déserts, me planter devant la baie vitrée par laquelle, au-delà du balcon occupant toute la longueur du luxueux appartement, on voyait sur une grande distance la mer moutonner, ou dans le coin du bow-window pour contempler une pelouse mouchetée de fleurs printanières d’un jaune acide. Je m’arrêtais au seuil des pièces et, tout en m’imprégnant de leur volume et de l’inclination de la lumière qui les traversait, je les meublais en imagination puis m’y plaçais moi-même, accoté à tel ou tel meuble. Je me voyais faisant bouillir de l’eau pour des pâtes dans la cuisine, et cetera (p. 71).
Je l’ai suivie, on est montés dans la voiture, elle m’a ramené à mon hôtel, sans qu’on échange le moindre mot. Ça y était, j’avais compris le problème » (p. 73).
Tout le charme de l’intrigue réside dans le style ironique et léger de Pierre Ahnne, qui nous emporte de ses phrases élancées dans les volutes du destin d’un héros qui veut en rester le maître. Mais à ne pas savoir choisir et à fuir l’action, ne se jette-t-on pas dans des situations plus impossibles encore que celles qu’on redoute ?
Pierre Ahnne, après Dernier Amour avant liquidation (Denoël, 2009), et J’ai des blancs (Les Impressions nouvelles, 2015), deux fictions plus intimistes, revient à la veine plus noire de « Couple avec pistolet dans paysage d’hiver », dans ce roman à suspense aux bords du surnaturel.
« Faust à la plage » pose la question du désir et du libre arbitre dans une prose haletante qu’on lit d’une seule traite comme pour trouver des réponses à ses propres interrogations. Un livre envoûtant, à lire absolument !
DP
Pierre Ahnne « Faust à la plage », éditions Vendémiaire, octobre 2022