Laurence Rapin est écrivain public et biographe. Le récit de vie qu’elle a écrit pour le compte de son auteur Benoît Camguilhem « Naître handicapé, un combat pour la vie » s’est vu décerner le prix Simone Veil du Salon du livre de Navarrenx.
L’Inventoire : Comment êtes-vous arrivée à l’écriture ?
Laurence Rapin : Parce que ma timidité était un frein énorme à mon expression. J’ai donc d’abord écrit pour moi et développé un profond amour pour les mots et la musicalité de la langue française (mon deuxième outil d’expression préféré étant le chant).
Après mes études et pendant sept ans, j’ai parcouru le monde ; j’ai alors rempli des carnets de voyage pour me souvenir mais aussi pour transmettre. Puis, en travaillant 27 ans dans le secteur social, j’ai écrit pour-avec les personnes empêchées ou en difficulté avec l’écriture en accompagnant la construction de la pensée et son transfert sur le papier.
Quand vous est venue l’idée de suivre la formation de biographe à Aleph-Écriture ?
Après avoir suivi une formation à l’animation d’ateliers d’écriture créative avec SOFOR Bordeaux et ALEPH, j’ai été littéralement portée par les multiples bénéfices de cette pratique et la diversité des champs d’expression écrite. J’ai alors décidé de me consacrer pleinement à l’accompagnement par l’écriture et de poursuivre l’exploration de ce chemin à travers la formation de biographe.
Le livre de Benoît Camguilhem, Naître handicapé, un combat pour la vie, vient d’obtenir le prix Simone Veil. Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire cette biographie ?
J’ai travaillé quelques années dans l’animation spécialisée. Et j’ai à chaque fois été touchée par les personnes en situation de handicap : leur sincérité, leur sensibilité, leur spontanéité, leur entièreté me parlaient… mais leur histoire m’était inaccessible. Outre ces traits de personnalité que j’ai retrouvés chez Benoît, j’ai donc été séduite par l’idée d’entrer dans son histoire et de l’écrire sans qu’elle passe par le filtre, aussi averti soit-il, de parents ou d’accompagnants médico-sociaux.
À quel rythme avez-vous écrit cet ouvrage ?
Notre collaboration a duré un an et demi, à raison d’un rendez-vous hebdomadaire environ et de cent heures d’entretiens. Mais quid du temps effectif consacré à la biographie ? Je ne saurais dire : Benoît Camguilhem ayant une certaine propension au vagabondage physique et psychique, chaque entretien nécessitait une écoute spécifique, et des rappels au cadre. Ce travail de longue haleine a cependant très certainement contribué à ce que Benoît Camguilhem, qui refusait au départ l’idée même d’écrire le mot « handicap » dans son récit, s’approprie le terme et le mette en perspective jusqu’à accepter de lui faire une place d’honneur dans le titre de son livre. Cela m’a permis une fois encore, de mesurer l’effet thérapeutique que peut avoir l’écriture.
La particularité de ce livre, c’est qu’il est à la fois autobiographique et choral.
Comment s’est passé l’écriture de ce livre ?
La particularité de ce livre, c’est qu’il est à la fois autobiographique et choral. En effet, une des intentions très courageuse de Benoît Camguilhem était de comprendre enfin comment il était perçu par ses amis et par les personnes qui l’accompagnent dans différents domaines. Comme un garçon comme les autres ? Comme un inadapté social ? Avec quelles qualités ? Avec quels défauts ? Il m’a donc demandé de recueillir la parole d’une quinzaine de personnes : ses parents, ses frères, un oncle, une cousine, des proches, un éleveur, deux présidents d’associations dans lesquelles il s’investit… En collectant cette matière très dense et très vivante, j’ai commencé à m’interroger sur le genre littéraire à adopter : celui du roman ou celui du récit de vie ?
J’ai partagé mes tâtonnements avec Delphine Tranier et deux amies biographes (Christine Clamens et Catherine Terk-Weiss rencontrées en formation et avec lesquelles j’ai constitué le groupe de réflexion « Triodebio ») avant de parvenir à trouver une voie d’écriture autobiographique permettant à chaque protagoniste de trouver sa place au fil du récit, répondant aux questionnements de Benoît Camguilhem, enrichissant ses réflexions et parfois contredisant ses certitudes. Ce fut une expérience d’écriture éprouvante mais très enrichissante.
Comment les choix sur le parcours de Benoît Camguilhem ont-ils été faits ?
L’objectif initial du livre était de transmettre combien le chemin qui s’ouvre devant l’enfant pas tout à fait comme les autres est un parcours du combattant.
Le second, pas moins important, était de transmettre que le chemin d’un tel enfant est celui de tous les autres quand il s’agit de se construire, d’éprouver des désirs, de passer le cap de l’adolescence : avec des hauts plus ou moins hauts et des bas plus ou moins bas.
Le troisième objectif, qui s’est dessiné au fil des mois et des rencontres, a été de montrer qu’avoir le statut de personne handicapée n’empêche pas la citoyenneté, l’engagement, l’inclusion. C’est au final un plaidoyer pour une révolution du regard porté sur le handicap. Avec sa mère à nos côtés (« Ma mère, c’est le TOP » dit-il), nous avons donc parcouru ses débuts dans la vie et le combat pour obtenir un diagnostic, puis la rééducation, le parcours en institution, l’entrée éprouvante dans l’âge adulte et dans le travail protégé … et inséré dans cette chronologie les thématiques qui ont surgi au gré des entretiens avec lui et les témoins de sa vie : sa relation à ses parents, la place de ses frères, du sport, de la ferme et des Blondes d’Aquitaine, de l’engagement, des rêves… En fait, il n’y a pas eu de choix à faire. Tout était réellement passionnant !
L’objectif initial du livre était de transmettre combien le chemin qui s’ouvre devant l’enfant pas tout à fait comme les autres est un parcours du combattant.
En quoi les ateliers d’écriture vous ont-ils permis d’apprendre le métier de biographe ?
Lors des ateliers, écrivant et lisant à voix haute, j’ai réalisé que malgré la diversité des propositions et des registres empruntés, j’avais une langue écrite qui reflétait malgré moi mon état intérieur mais surtout une langue écrite de prédilection : avec sa musicalité, son rythme, ses préférences de construction, ses tics de langage… Or, écrire pour l’autre nécessite une mise à distance de soi et de sa propre langue, ou tout au moins d’être très clair avec cette dernière pour faire des choix d’écriture au plus près de la voix de son narrateur. C’est en cela que les ateliers ont contribué à me faire entrer dans la posture de biographe.
Comment avez-vous trouvé un éditeur ou quels choix ont été faits si l’ouvrage a été auto-publié ?
J’ai mené l’écriture puis la mise en page et l’insertion de photos jusqu’à la livraison pour impression. L’ouvrage a été en grande partie sponsorisé par le directeur d’une grande enseigne locale et Benoît Camguilhem a fait le choix de l’auto-publication avec diffusion dans les deux espaces culturels de cette enseigne, dans son important réseau et, comme c’est une personne qui n’a pas de frein, il a ouvert de nombreuses portes qui lui ont permis de faire connaître son ouvrage… et de bien le vendre. Il en est aujourd’hui à 800 exemplaires. Les bénéfices réalisés sont destinés à une association qui verra le jour d’ici le mois de septembre et aura pour vocation de favoriser l’insertion des personnes handicapées dans les domaines du sport, de la culture, de la vie associative et du travail. Benoît Camguilhem pense déjà au deuxième tome !
Extrait de la préface au livre, écrite par Laurence Rapin
L’histoire de Benoît Camguilhem a failli s’interrompre à l’heure du troisième mois de grossesse de sa mère. Cet accroc à sa vie va rapidement affecter son développement mais il faudra à ses parents plus de cinq ans de démarches pour qu’un diagnostic soit enfin posé : le cerveau de leur fils a subi des lésions cérébrales durant la période périnatale.
Benoît a aujourd’hui quarante ans et son corps, sa voix et certaines de ses manières d’être dans la société portent les stigmates de son handicap. Mais d’aussi loin que remontent ses souvenirs il se bat pour exister.
Prix : 22 euros, envoi sur demande