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L’EACWP, association européenne des programmes d’écriture créative, réunit des représentants de dix-huit différents programmes d’écriture créative en Europe ainsi que des universitaires et des écrivains. Dans ce cadre, s’est tenue en novembre 2012 à Paris la 1ère conférence pédagogique internationale dédiée à l’enseignement de l’écriture créative. Nous publions ici un texte de Laure Naimski, extrait de cette conférence.
Laure NAIMSKI (France)
Introduction
Je dois d’abord vous dire que je ne vis pas de la musique de Jazz. Je ne suis pas assez bonne musicienne pour cela : 15 ans de pratique de la musique et plus particulièrement du saxophone l’ont prouvé. Je gagne ma vie par mes travaux de journalisme et de communication. Il y a deux ans, j’ai aussi commencé une activité d’animation d’ateliers d’écriture pour adultes, activité qui reste plus ou moins un hobby.
Il y a peu, j’ai eu une idée. Elle était sans doute latente, mais elle est apparue en pleine lumière et je ne saurais dire pourquoi à ce moment précis. L’idée, c’est que les ateliers d’écriture ont quelques similarités avec les orchestres de Jazz. Et je crois que c’est une des raisons qui me poussent à continuer plus avant dans l’expérience de ces ateliers, tant comme participante que comme animatrice. J’y vois une manière de mêler les deux univers, en ressentant et expérimentant fortement ce qui les lie.
Je me suis demandée de plus en plus pourquoi je ressentais ces similitudes et me suis soudain rendu compte qu’un atelier d’écriture fonctionne plus ou moins comme un orchestre. Un orchestre qui ne jouerait pas n’importe quel type de musique, mais du jazz, musique qui mêle partitions et improvisations, une musique libre, sur la base d’accords et d’harmonies. C’est cette idée que je voudrais développer ici.
Je vais vous expliquer quelques-unes de ces similitudes et vous parlerai des quelques outils pédagogiques qui y sont reliés, outils qui peuvent aider tout un chacun à construire son propre atelier.
Pour commencer, je dois avouer que je me suis toujours sentie nerveuse lorsqu’il me fallait jouer dans un orchestre ou sur scène. Et je ressens la même chose maintenant lorsque je suis dans un atelier d’écriture, comme participante ou comme animatrice. Parce qu’il y a toujours un public… comme aujourd’hui, ici, parmi vous.
Il faut d’abord donner le La, donner le ton :
Après que chaque participant ait fait son choix d’une place où il se sent bien pour écrire, l’animateur, qui est plus ou moins le chef, donne le La de l’atelier. Je divise cette étape en deux parties.
Un premier moment, classique, où chacun se présente : avez-vous déjà participé à un atelier ? Qu’espérez-vous en venant à celui-ci ? Etc.
Et je crois que, en tant que musicienne, je perçois ce moment de manière plus sensible ; je peux, par exemple, ressentir immédiatement les nuances entre les gens, qui « chantera » faux, qui sera dans le ton. C’est un moment privilégié pour écouter les voix des participants et voir de quelle manière on va pouvoir mettre en place une harmonie. C’est intéressant d’avoir quelques discordances dans un groupe, mais en tant qu’animateur du groupe, il faut les percevoir rapidement pour les prendre en compte.
Ma sensibilité musicale m’y aide. Et cela peut être un premier outil à utiliser dans l’enseignement de l’écriture créative… Même si on n’est pas musicien. Il suffit d’avoir une écoute véritable des voix des participants. C’est sans doute intéressant de pouvoir conduire un atelier d’écriture un peu à la manière du leader d’un petit orchestre de jazz qui est sans cesse à l’écoute des musiciens. Même s’il me faut avouer que je ne connais guère la position du leader, moi qui n’ai jamais été autre chose qu’un des musiciens.
Le second moment est celui où je donne le ton, en prenant en compte toutes les voix que je viens d’entendre. C’est une étape essentielle pour moi.
Cette tonalité est un de mes outils : par tonalité, j’entends ce qui fera que tous les participants de l’atelier « joueront » juste. C’est moi qui donne la clé.
Qu’est-ce que cette clé ? Ma clé, en tant qu’animatrice de l’atelier, c’est d’annoncer à tous que nous allons écrire près de l’affect(if) de chacun, mais pas trop près. C’est cela qui donne le ton, l’harmonie, mais aussi la gamme dans laquelle chacun pourra trouver son propre ton s’il le souhaite.
Une telle introduction reste hautement subjective : chacun y prend ce qu’il peut.
Un air commun :
Un air de jazz commence souvent par un thème commun que chaque musicien joue d’après la partition. Pour faire le lien avec les ateliers d’écriture, disons que ce thème est la proposition d’écriture que l’animateur donne aux participants.
De quel outil vais-je disposer ici ? Comment puis-je faire usage de mon expérience du jazz pour construire mon atelier ? Je donne le Thème de manière à accroître le désir d’écriture. En fait, je n’énonce pas vraiment le Thème, je le travaille pour ensuite savoir le chanter (c’est une manière de parler) et de me libérer de la partition, comme si j’étais celui qui s’autorise à lancer une variation, à jouer une sorte de free jazz. Je ne prépare donc pas trop ce thème, mais je donne à tous, moi y compris, une tonalité, une clé, une gamme, une harmonie que je vais maintenir pendant tout l’atelier. J’aime laisser les propositions un peu ouvertes pour que chacun se sente libre et à l’aise.
Tempo et rythme :
J’essaye de trouver dans le groupe une sorte de rythme commun afin de m’appuyer dessus pour conduire mon atelier. C’est une sorte de pulsation interne. Elle n’est pas facile à trouver, mais je crois qu’il est vraiment important de le faire. Car, de plus, pour y parvenir, il vous faut avoir les yeux et les oreilles grands ouverts.
Dans un orchestre de jazz, il est tout aussi important d’écouter les autres musiciens que de les regarder, pour ne pas rater les signes qu’ils peuvent vous envoyer. Une fois de plus, pas besoin d’être musicien pour y parvenir. Chacun peut le faire. Ce n’est qu’une question de sensibilité.
Pour moi, donner le tempo c’est aussi donner une unité de temps. Les participants écrivent pendant un temps déterminé. Comme le musicien qui se lance dans une improvisation puis revient au thème commun avec l’ensemble de l’orchestre. Ce temps limité fait partie de l’expérience. Le temps est d’ailleurs aussi une part importante d’une partition de jazz. Je peux accélérer le rythme en donnant moins de temps pour écrire, comme un bebop, ou l’allonger en donnant un tempo lent, comme une balade. Cette conscience du tempo qui s’instaure et le pouvoir de le faire varier sont aussi des outils à ma disposition.
Improvisations :
Chaque participant écrit sa partition comme une variation. Mais il n’est pas seul, à la maison, face à un ordinateur ou une page. Il est dans un groupe, il fait partie de son énergie ; car même si cette énergie est silencieuse, elle est perceptible par tous. C’est ou ce n’est pas un appui, mais c’est un incontournable élément de l’atelier. Et les participants écrivent selon l’harmonie de la proposition apportée par l’animateur. Là aussi je vois des similitudes avec un orchestre de jazz, même s’il ne me semble pas que ce puisse être un outil qui m’aide à construire l’atelier. Il s’agit plus pour moi d’ouvrir mes oreilles à la musique des stylos sur le papier, ou à celui des claviers d’ordinateurs.
Premier temps de lecture :
Puis vient le premier temps de lecture, celui où on partage sa « variation », son travail d’écriture créative, avec les membres du groupe. Pour les participants, c’est souvent un moment de grande tension. Pour l’animateur aussi, car il va lui falloir donner des retours, c’est-à-dire jouer sa propre variation après celles des participants.
Les retours :
Je me souviens des fois où j’ai joué du saxophone dans un orchestre de jazz, de la manière dont j’abordais mes moments d’improvisation : j’entrais très lentement dans les accords et le rythme, utilisant du silence, des moments de pause, brefs mais efficaces. Je crois pouvoir dire que c’est ainsi que je pratique en tant qu’animatrice d’ateliers d’écriture au moment des retours : c’est un jeu entre questions et réponses.
Se nourrir les uns les autres :
Puis vient une deuxième proposition, une deuxième improvisation, un deuxième temps d’écriture, une deuxième lecture. Mais l’écriture est ici nourrie de la première phase de l’atelier. Nous empruntons aux autres, comme un musicien emprunte à ses compagnons pour nourrir sa propre partie. Comme un orchestre de jazz, un atelier d’écriture est vraiment une création collective, spontanée, éphémère. On peut décider de continuer seul dans son coin, ou pas. Mais ce moment reste gravé dans la mémoire, celui de ce groupe unique de gens.
Exemple: récemment, pendant un festival de littérature, j’ai assisté à un atelier d’écriture mené par le romancier américain Ron Hansen. Nous avons travaillé sur plusieurs propositions, et, pour la deuxième, une des participantes a écrit sur quelque chose qu’elle avait entendu lors de la lecture des premiers textes. Elle a utilisé un élément spécifique : l’état du Nébraska. Après la lecture, elle a expliqué qu’elle s’était inspirée pour son propre texte d’un des textes entendus juste avant. Je pense que c’est important de savoir qu’elle n’était pas une participante ordinaire : elle était la traductrice de Ron Hansen et s’était jointe au groupe à la dernière minute. On peut donc considérer qu’elle était en quelque sorte une voix plus candide, plus sensible aux autres voix du groupe, dont elle avait su se nourrir.
L’espace comme outil :
Être musicienne de jazz me donne une attention particulière au corps et à la manière dont il occupe l’espace. Cette connaissance me pousse à imaginer des propositions d’écriture qui permettent au corps des participants de se libérer du cadre de l’atelier et même, peut-être, de celui de la page.
Conclusion
Je crois que ce que je recherche, c’est le miracle de cette alchimie si particulière que je ressens dans un orchestre de jazz dans les moments où l’énergie créatrice se libère totalement. Maintenant que je sais cela, je suis mieux en mesure de considérer mon expérience des ateliers d’écriture dans la perspective de ces similitudes et d’en tirer les stratégies pédagogiques dont je viens de parler.
Je peux utiliser mon expérience de musicienne pour accentuer cette alchimie dans le groupe autant que je le peux.
Car la forme globale de l’atelier repose sur l’interaction entre les participants et moi. Ma sensibilité musicale, et plus spécialement celle liée au jazz en tant que musique libre, est un biais efficace dans la construction de mes ateliers. Cela s’apparente à ce moment où, lorsqu’on joue dans un orchestre, on est comme submergé par la musique sans être en mesure d’en séparer les voix, et on les accueille alors toutes d’un coup ; lorsqu’on mène un atelier, il faut aussi garder la possibilité de les dissocier.
Biographie de Laure Naimski
Laure Naimski est née en région parisienne en 1971, En Kit est son premier roman. Journaliste, elle a aussi été lauréate de la Scuola Holden de Turin. Elle travaille régulièrement pour la rubrique culturelle du magazine Arte. Retrouvez son livre ici.