Emmanuelle Pavon-Dufaure a construit sa pratique d’auteur et d’animatrice à partir de son métier de lectrice, en laissant toute sa place à la voix humaine. Yves Marc a étudié le théâtre et le mime corporel avec Etienne Decroux. Ensemble, à Lectoure, ils ont eu l’idée de prolonger le travail de l’autre par un atelier: « Lâcher plume ».
Débutant à Lectoure les 26 et 27 septembre, ce stage propose de découvrir le mouvement les week-ends et le lundi de suivre un atelier d’écriture de 19 h à 21 h30. Emmanuelle Pavon-Dufaure animera aussi le Module 1 de la Formation générale à l’écriture littéraire (présentiel et e-mail) d’Aleph-écriture du samedi 03 Oct. 2020 au 14 Nov. 2020 à Paris « Oser écrire ».
Inventoire : En 7 week-ends, vous proposez ensemble une nouvelle approche de l’écriture. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Yves Marc : Le principe de ces stages est de sensibiliser les participants aux fondamentaux du corps à travers un programme que j’ai baptisé « Conscience et écologie du corps ». Dans ces pratiques les participants vont croiser un certain nombre de perceptions, d’états corporels différents, leur permettant de développer des sensibilités particulières de leur corps. L’idée est aussi de leur proposer parallèlement une pratique d’écriture pour que ces consciences nouvelles se mettent en mot sous la direction d’Emmanuelle.
Emmanuelle Pavon-Dufaure : C’est pour cette raison que le terme « d’une nouvelle approche » me paraît bien choisi, qui suppose d’emblée une mise en mouvement dans l’espace et rompt l’immobilité, associée traditionnellement à l’auteur, comme chevillé à son bureau ! Dans l’aventure de l’écriture, il n’y a pas que la belle langue à atteindre, il y aussi à ménager, entretenir la dynamique subtile du processus d’écriture qui se joue dans le corps même de l’auteur (Haruki Murakami parle même d’un marathon). Quel rapport le corps de chaque auteur (avec la mémoire de ses joies et blessures) entretient-il au corps de son texte ? Comment cela s’enclenche, se déplace, se bloque parfois ? Comment cela peut parfois s’essouffler ou au contraire s’inspirer ? Comment peut-il y avoir de l’un à l’autre transfusion heureuse ? Ces sept week-end, c’est un chemin proposé dès fin septembre, atypique, entre corps et mots, pour activer, vitaliser, la qualité de cette circulation. Un week-end dédié à la mise en mouvement sur scène des textes écrits sera aussi proposé pour clôturer ce cycle, fin mai. Ainsi la boucle sera bouclée ! Etats de corps, de mots et enfin de voix.
Inventoire : Quels sont les enseignements corporels fondamentaux qui ont jalonné votre parcours et vous guident aujourd’hui ? Est-ce que le mime Marceau en fait partie ?
Yves Marc : J’ai surtout eu la chance de travailler le mime corporel avec un grand Monsieur du théâtre et du mime : Étienne Decroux. Il avait été le professeur du très célèbre mime Marceau mais il avait développé un mime nouveau qu’il avait baptisé le mime corporel en opposition à l’ancienne pantomime du XIXe siècle qui utilisait essentiellement le visage et les mains et qui a effectivement été remise au goût du jour justement par Marcel Marceau. Etienne Decroux, ce théoricien et poète du mouvement a ainsi mis au point une technique d’analyse du mouvement qui s’appuie fondamentalement sur l’anatomie du corps. J’ai également eu le plaisir de rencontrer plusieurs disciplines somatiques entre autres à travers un stage extraordinaire avec Moshe Feldenkrais qui a développé la conscience par le mouvement.
Inventoire : Pensez-vous qu’arriver à bouger sur un plateau, s’affranchir de la pesanteur habituelle, transforme notre perception de l’espace et de nous-mêmes ? Est-ce très difficile ?
Yves Marc : Bien sûr le temps du corps est un temps lent mais à partir de ces fondamentaux du corps on peut découvrir très vite des états de corps différents qui modifient la perception que l’on a de soi-même et donc le rapport à l’espace et le rapport au temps. On pourrait dire que l’objectif serait par le jeu de conscience de donner au corps plus de disponibilité, d’adaptabilité, de liberté, de mobilité, d’intelligence et d’économie. Comme vous voyez le projet est ambitieux… !
« Un mot, si on prend ce temps là, celui de lui tourner autour, c’est une vraie sculpture ».
Inventoire : Cesser d’être dans l’hyper-contrôle en saisissant l’écriture à travers le corps plutôt qu’avec le mental c’est aussi laisser l’opportunité à la surprise. Mais quelle est la place du texte dans votre travail ?
Yves Marc : J’ai envie de rencontrer dans ce croisement avec Emmanuelle, d’autres relations du corps et du mouvement avec l’écriture, tant sur le plan du jeu rythmique et des musicalités croisées du texte et du mouvement, que de découvrir comment résonnent et dialoguent les métaphores textuelles et les métaphores du mouvement. Le déplacement du « mental » par le jeu des sensorialités …
Inventoire : Qu’avez-vous observé chez vos participants de différent par rapport à d’autres groupes d’atelier d’écriture, sans travail sur la posture ou la respiration ?
Emmanuelle Pavon-Dufaure : Pour reprendre ce que vient de dire Yves, oui, il s’agit en quelque sorte de mettre son mental un peu en veille et de retrouver ainsi une certaine sauvagerie ou vigueur animale, propice à la réinvention du langage ! Comme le disait Colette « écrire comme personne avec les mots de tout le monde ». J’ai constaté, à quel point ce passage par le corps, permettait de s’extraire du langage brûlé, encombré par nos clichés ou par la conception a priori de ce que devrait être un beau texte.
La différence est peut-être là, l’écrivant se rapproche davantage de son caractère d’auteur, un terme que je préfère à celui de style qui supposerait ceux qui en ont et les autres… Pour vous prendre un exemple concret, Yves fait un travail nuancé sur ce qu’il appelle « le pré-mouvement », la personne est immobile mais elle amorce le geste de l’intérieur. Cela donne par la suite une qualité à son geste, grâce à cette préparation. Il me semble qu’en écriture aussi, il y a les « pré-phrases », cette suspension qui permet de déjouer une écriture trop artificielle ou conventionnelle (qui nous guette tous). Ces pré-phrases permettent de désapprendre la grammaire, d’aller chercher la matérialité du mot, sa texture, sa saveur. Un mot, si on prend ce temps là, celui de lui tourner autour, c’est une vraie sculpture. Alors, oui, passage par la posture, le regard, le toucher car ainsi l’auteur se positionne dans l’espace mais aussi après-coup, face, contre, le mot, qui devient ainsi malléable, respire au plus proche ce qu’est l’auteur.
Inventoire : Que vous apporte vous-même cette rencontre avec Yves, au niveau de votre pratique d’écriture et en tant que lectrice à haute voix ?
Emmanuelle Pavon-Dufaure : Je dirais d’abord une élasticité de l’imaginaire. Et le désir, encore plus affiné et affirmé, suite à ces expériences corporelles, de développer un art de la lecture singulier, un dire du texte, comme une musique. Qui n’est pas du côté de l’interprétation, de la mise en jeu, tel que peut le proposer un acteur, par exemple, qui délivre un sens. Rester en quelque sorte dans le corps du texte, se tenir, re-tenir à ce niveau là, celui des sens possibles. Ce qui m’intéresse c’est le mouvement même, quasi archaïque ou « dansé » de la lecture, ses gestes associés, qui vont donner, par ricochet, une certaine texture vocale… Ce qui fait évidemment écho au socle pratique et théorique du Théâtre du mouvement !
« Et dans le voyage il faut le temps du voyage sinon ce n’est plus un voyage ». Marguerite Duras
Inventoire : Qu’est-ce qui sera différent cette fois dans cette aventure sur plusieurs semaines, et qu’est-ce que les participants peuvent en attendre ?
Emmanuelle Pavon-Dufaure : Cela prendra le temps, celui de la maturité, celui de l’oubli aussi- essentiel dans la démarche artistique- c’est un voyage qui est proposé (même si c’est important de le préciser, on peut ne suivre qu’un seul stage). Ce qui me plait beaucoup, entres autres, dans cette proposition « Conscience et écologie du corps » d’Yves, c’est cette construction d’un cycle au long cours, a contrario de la rapidité et l’efficacité que nous impose un rythme contemporain, qui étouffe parfois l’ esprit créatif. Comme le disait Marguerite Duras « Et dans le voyage il faut le temps du voyage sinon ce n’est plus un voyage ».
DP
Crédits photo tête d’article Claudine Cochet
Emmanuelle Pavon-Dufaure animera aussi le Module 1 de la Formation générale à l’écriture littéraire (présentiel et e-mail) d’Aleph-écriture du 03 Oct. 2020 au 14 Nov. 2020 à Paris.
Elle animera également avec Delphine Tranier-Brard : « Se former à l’animation d’ateliers d’écriture » (à partir du 14 novembre 2020).
Stages « Lâcher plume » : toutes les informations ici