« La visite », Louise de Ravinel

La visite

Le logement se compose comme suit :

– Pièce principale avec rangements et coin cuisine.

– Salle de douche avec WC.

22m2. Etage 3. Fenêtre sur cour.

Canal de l’Ourcq à deux pas.

Chauffage individuel électrique.

Disponible de suite !

 

Elle porte une robe bleue, il fait chaud et la visite est à quatorze heures.

Du métro jusqu’à l’adresse, il n’y en a que pour deux minutes. Une rue toute droite avec des façades en briques qui luisent sous le soleil.

Elle marche dans la rue dorée jusqu’au numéro 6, indiqué par le propriétaire sur le SMS. 6, c’est bon signe. Elle a vécu 6, rue de l’ermitage étant petite, a eu 6 petits amis depuis le collège, a lu 6 fois Madame Bovary avant ses 26 ans (fêtés la semaine dernière autour d’un mojito tiède). Cet appartement, elle va l’avoir.

La façade présente un porte large, double, rouge, qui semble lourde. C’est toujours rassurant, une bonne porte. Contre les cambrioleurs, un ouragan, la tristesse.

Comme il n’est que 13h20 elle redescend la rue jusqu’au café à l’angle qui s’appelle Vénus. Il fait de plus en plus lourd. Elle commande un Coca à un serveur très aimable. Quartier accueillant, elle se dit, en allumant une cigarette. Le serveur revient avec un cendrier et un autre sourire large à l’embrasser toute crue. Elle n’est pas prête pour l’amour et reste froide sur sa chaise, Vénus lointaine sur son rocher.

Elle connaît l’annonce par cœur. Sur le site, elle ne comportait que deux photos maladroites (une de la cabine de douche et l’autre du coin cuisine) mais du studio elle s’est fait une idée assez précise, depuis trois nuits qu’elle passe à l’imaginer. Du parquet, ça serait chic. Pas de cheminée, faut pas rêver : 800 euros charges comprises. La fenêtre sur cour l’emballe particulièrement, elle fumera des cigarettes en observant les allées et venues et croira reconnaître son pigeon de prédilection. La fenêtre est la juste présence aux autres.

Elle a visité un appartement le mois dernier mais il s’agissait d’une colocation. Pendant la rencontre avec les trois personnes qui vivaient déjà là elle n’a fait que transpirer en regardant les moulures au plafond. En sortant, aucun souvenir de l’appartement en question.

22 m2. Royal. En ce moment, la chambre de bonne qu’elle occupe fait 16m2, 6m2 de gagnés, ce n’est pas rien. C’est assez pour s’allonger au sol, faire des abdominaux, installer une commode, faire sécher du linge, avec 6m2 on peut inviter un ami de plus, garder un chien le temps d’un weekend. Les possibilités sont infinies et lui tournent la tête.

Il y a deux semaines, elle a visité un autre appartement. La file d’attente occupait la moitié de la rue, peut-être une audition ? C’est ce qu’elle a pensé d’abord. Mais non, c’était bien ça, on faisait entrer les gens 5 par 5. Comme malgré eux, ils avaient formé un cercle autour d’une table louée avec l’appartement. On aurait dit un dîner qui ne commencerait jamais. Défraichi mais lumineux. Elle a déposé un dossier solidement arrangé (en rajoutant 800 euros à son salaire et en faisant de son CDD un CDI), on ne l’a jamais rappelée.

Rangements. Comme ça serait pratique ! Elle n’a pas grand chose, c’est-à-dire trois cartons, un clic-clac et une table dans la cave d’un copain, qui attendent une adresse définitive. Elle a hâte de  s’installer. Elle commencera par afficher cette reproduction de la Nuit étoilée de Van Gogh : une chambre avec vue pour presque rien.

La semaine dernière, elle a visité un autre studio. Une pièce humide avec des taches sur le mur qui faisaient comme de scarabées avançant vers elle. Elle y a vu un signe grave et n’a pas déposé de dossier.

Elle remue sa tranche de citron dans le Coca. Le dimanche matin, elle ira courir le long du canal. Depuis qu’elle est arrivée à Paris, un an demain, elle l’a vu souvent, cet Ourcq, du gaulois aturicos, petite rivière. Elle s’imagine bien vivre près de lui. Il faut de l’eau près d’une maison, elle est sûre que les Gaulois lui donneraient raison.

La chambre de bonne qu’on lui prête depuis deux mois, le temps de rebondir (après une rupture on n’en finit plus de ricocher) est parfaite. Inespérée même. Mais ce n’est pas chez elle. Ce ne sont pas ses meubles, ni son nom sur la boîte aux lettres. Même les voisins ne sont pas les siens, ils savent bien qu’elle n’est que de passage, cette jeune fille arrivée un matin avec une énorme valise grise et l’air d’avoir pleuré toute la nuit.

Et puis elle ne veut pas y rester pendant des mois encore, rien de pire que de faire trainer une faveur temporaire. Il lui faut ses pénates, sa cahute, une clé bien à elle à serrer au creux des mains.

Le chauffage électrique n’est pas une bonne affaire mais pourquoi s’inquiéter du chauffage en août ? Il sera bien temps de penser aux factures à la fin de l’automne.

13h45. Elle paie son verre et file aux toilettes, miroir dis-moi qui est la plus présentable ? Elle lisse ses cheveux derrière ses oreilles et s’asperge d’une eau de toilette à la pêche (ne sentir ni la cigarette ni l’inquiétude).

Le serveur a rendu la monnaie à la jeune fille sans insister et la regarde partir, elle a un air décidé avec sa chemise en carton toute neuve entre les mains, ça doit contenir des bulletins de paie. Il en voit passer des visiteurs d’appartements, il les reconnaît tout de suite : bien habillés, fébriles, pas bavards.

Elle remonte la rue en direction du 6. Des gouttes de sueur perlent sur son front mais il se forme au dessus d’elle un large nuage protecteur, il a la forme d’un cheval qui aurait ses quatre sabots en l’air pour effectuer un grand saut.

La pluie tombe brutalement, il est 13h55, le bon moment pour appeler le propriétaire et signaler sa présence.

J’arrive dit une voix chaleureuse. Du genre à ne pas augmenter le loyer tous les ans ?

Elle attend devant la porte rouge, son cœur bat plus fort que la pluie, elle se débarrasse de son chewing-gum.

Le plus merveilleux dans cette annonce c’est le point d’exclamation  – disponible de suite !

L.d.R