« La Pythie de Marcello », un texte de Lise Michel

Un texte écrit de Lise Michel, dans le cadre de l’atelier d’écriture « Ecrire l’art, ou mon musée idéal » d’Aleph-Ecriture animé par Françoise Khoury.

La Pythie de Marcello est une sculpture de bronze du XIXe siècle, de 1870 précisément. On trouve l’originale au bas de l’escalier de l’opéra Garnier à Paris. C’est une commande faite à l’artiste fribourgeoise « Marcello », de son vrai nom « Adèle d’Affry »,  par Charles Garnier pour la décoration de son opéra.

Une « réduction » de cette statue se trouve au musée d’art et d’histoire de Fribourg. C’est là que je l’ai découverte. Cette reproduction représente la Pythie de Delphes, oracle antique qui rentrait en communication avec le dieu Apollon pour prédire l’avenir. Elle parlait de façon énigmatique et l’interprétation de ses paroles tenait à ses interlocuteurs. On dit que la Pythie était en transe à cause des effluves de laurier brûlé, plante toxique. Cette petite statue de 40 cm environ trône en toute humilité dans la partie supérieure du musée. Une femme sans âge à la plastique parfaite est perchée sur son trépied. Son regard part de côté, elle est comme effrayée, les cheveux assez courts et en bataille, le sourcil inquiet, elle semble entendre les présages du dieu tout en les repoussant de la main gauche. Sa poitrine est dénudée. Sa jambe et son pied fin dépassent de sa robe. Elle est l’élégance-même, la finesse, la noblesse et pourtant elle est la Pythie : cette prêtresse qu’on respecte infiniment pour ses dons et ses liens avec les dieux mais qu’on craint pour sa folie et son côté sauvage. Cette sauvagerie est clairement représentée par sa chevelure qui n’a rien à voir avec les chignons lisses de l’époque (Second Empire) et ses seins nus qui osent sortir de l’étoffe de la tunique dont le drapé doit rappeler le savoir-faire de l’artiste. Dans son regard, on croit voir la peur de l’homme face à l’existence. Cette femme est effrayante tout en étant d’une finesse élégante par sa silhouette.

Pourquoi Charles Garnier a-t-il choisi cette figure pour décorer l’escalier de son opéra ? Peut-être est-ce là un symbole de l’inspiration : Apollon n’est-il pas le dieu des arts ? La Pythie sait tout de l’homme, elle connaît ses travers, ses émotions, sa folie, sa grandeur, son amour de l’esthétique. L’art permet à l’homme de s’exprimer et de se révéler tout comme la prêtresse de Delphes donne des pistes à l’homme pour se construire. L’opéra est la demeure de l’art par excellence.

Adèle d’Affry, Marcello de son nom d’artiste, était une femme indépendante au XIXe siècle. Veuve à 20 ans, elle refusa de se remarier par la suite. Elle jouit de son statut pour vivre en toute liberté à travers l’Europe sans ne devoir rien à personne puisqu’elle avait été « femme de ». Artiste reconnue pour son art d’abord plus que pour son rang, elle a démontré qu’une femme peut être indépendante même en tant qu’artiste. Évidemment, à cette époque-là, la renommée ne suffisait pas, Adèle d’Affry duchesse de Colonna avait aussi des ressources financières assez étendues…

La Pythie est une œuvre qui me tient à cœur car elle représente une femme forte, respectable, dotée de pouvoirs mystérieux, considérée un peu comme une folle et « une sage » à la fois. La sculpture est d’une grande finesse, d’une grande beauté, comme intouchable mais elle dégage aussi une fureur, un élan vers la vie ou la mort. Cette statue cristallise à la fois la puissance et le mystère de la femme. Elle est le symbole de beauté, de réussite, de reconnaissance ; une reconnaissance de la femme et de l’artiste par la société.

Quand je vois cette œuvre, que ce soit dans la rue, au mur de mon salon ou dans son musée (peut-être même un jour à l’Opéra Garnier), j’éprouve de la fierté et du respect. Des larmes me montent aux yeux. Ces deux sentiments m’aident à avancer en tant que femme et en tant que « provinciale ». « Nous, les femmes, nous pouvons. Il y a en nous une force intrinsèque qu’on ne pourra jamais nous enlever. » Merci Adèle d’Affry de l’avoir exprimé en 1870 déjà. Je pense à vous tous les jours, lorsque mon bus longe le cimetière où vous passez votre éternité à Givisiez.

Lise Michel