Par Laurence Soubrick (Aleph-Ecriture Paris)
Ecrire une phrase longue : la torture ! La phrase longue, c’est ce que je déteste le plus au monde, moi qui vous expédie une nouvelle en moins d’une page, une poésie en quatre lignes et un récit… non pas de récit justement, car, dans le récit, il y a de la phrase longue, vous savez celle qui décrit d’interminables paysages en hiver, puis en automne, puis à la Saint Glin Glin, avec tous les détails, la tonalité du ciel, le dentelé de la feuille de l’arbre, la couleur de la terre et sa consistance et son odeur, la forme des nuages et de la lune qui n’est pas encore là mais qui va bientôt arriver, et du soleil qui va se coucher comme-ci, comme ça, et qui éclaire l’horizon mais va très vite disparaître dans l’océan, lui donnant une tonalité unique et demain une autre plus unique encore, et le jour suivant, n’en parlons pas, sauf qu’on ne parle que de cela encore et encore, avec une loupe, non un zoom dernier cri qui vaut bien le microscope le plus perfectionné apte à montrer le plus petit détail invisible à l’œil nu, de quoi faire une bonne cinquantaine de pages de plus et décourager un régiment – si ! la phrase qui ne finit jamais, vous connaissez ! – celle qui vous anesthésie au point que vous ne pouvez même pas imaginer d’attendre une minute de plus que l’histoire commence enfin, que l’intrigue se noue et que les personnages entrent en action et que les sentiments s’exacerbent et que la tension monte et vous prenne au point que vous reteniez votre souffle, que vous ne puissiez plus quitter l’histoire, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, qu’il faille absolument que vous connaissiez enfin le dénouement et sirotiez la fin comme une petite liqueur après un bon dîner et savouriez le merveilleux voyage auquel l’auteur vient de vous inviter et avoir envie de lire tout ce qu’il a écrit, absolument tout, quitte à vous ruiner dès le lendemain matin dans la librairie la plus proche, non pas à la bibliothèque, car ces livres-là, vous voudrez les garder – tant pis pour les économies – et peut-être les offrirez-vous à vos amis, parce que quand vous aimez un livre, n’est-ce pas, vous adorez le faire partager à vos amis qui vont forcément aimer puisque ce sont vos amis et qu’il ont en grande partie les mêmes goûts que vous et que vous pourrez en parler ensemble, comme après un bon film ou un bon restaurant, n’est-ce pas qu’il est délicieux de partager ! sauf que… je m’égare, avec la phrase longue, il n’y a rien à partager, ça avance droit devant soi sans s’apercevoir que ça vous perd entre deux virgules ou que cela vous enferme entre deux parenthèses ou qu’au mieux, ça vous laisse sur votre faim avec ces maudits points de suspension – MAIS QUOI ! – moi je n’ai pas d’imagination pour les points de suspension, je ne sais pas extrapoler, je ne suis pas l’auteur, moi, je suis le lecteur et votre phrase longue, Monsieur l’Auteur, elle a même le culot d’oser parfois finir par un point d’interrogation !!!
Laurence Soubrick