Jusqu’au 23 mai, le 62ème Salon de Montrouge présente une sélection de jeunes artistes contemporains émergents. Parmi les 53 artistes exposés se dessine un retour au livre pris comme sujet de représentation, jusqu’à livrer une forme d’hommage à cet objet en voie de disparition face au numérique… Voici cinq artistes dont lire les œuvres sur les cimaises : Laurence Cathala, Julie Le Toquin, Ghita Skali, Andres Baron, éclairés par le travail de Gabrielle Decazes, qui comme en écho, installe une esthétique de la disparition.
Julie Le Toquin : Robe écriture #2
Travail sur la mémoire et l’identité, Robe écriture#2 (2016) met en regard une longue feuille de papier et une robe, sur lesquels elle a recopié à la main plusieurs années de journaux intimes tenus depuis la mort prématurée de ses parents. Comme pour conjurer leur mort, elle habille cette œuvre des mots de son adolescence volés à l’oubli.
Tandis qu’elle recopie son histoire, elle revêt ses mots dans cette robe manuscrite lors de performances. Porter son histoire au sens propre, voici un des propos de Julie Le Toquin dont l’œuvre précédente « Confidence pour confidence » (une performance en cours depuis 2014) vise à sceller un contrat entre deux personnes se portant garantes de la mémoire d’une tranche de vie partagée.
http://julieletoquin.tumblr.com/
Laurence Cathala : « Toute ressemblance avec une situation en cours, etc. »
Si elle a d’abord considéré le livre comme « motif symbolique d’un objet de savoir, de pouvoir et d’apparence à travers une pratique du pastiche », elle s’intéresse dans cette œuvre au texte lui-même pour en livrer l’exégèse après sa disparition.
Autour d’un texte sans ponctuation sur les conséquences d’un réchauffement climatique qui mènera à ne sauver que les ordinateurs, on retrouve des notes d’archives ou de documentation fonctionnant comme des liens hypertextes sur maxi « post-it ». Roland Barthes est à son affaire.
Réflexion sur le devenir du livre, le spectateur se transforme vite en lecteur, circulant dans la mémoire du livre-monde disparu.
Ghita Skali: « Kit-Kat Project »
Comme une carte géante, l’œuvre de Ghita Skali s’organise autour des recherches qu’il effectue autour d’images, d’interview, d’anecdotes, d’extraits de films, de livres : « Ces noyaux donnent des formes avec lesquelles je joue et que j’agence ».
Il est question ici de montrer des phases qui correspondent à des projets, sans début ni fin. Un univers fascinant qui se rapproche du carnet de notes, aux histoires obsessionnelles, et dont les ajouts concentriques tendent à circonscrire un monde, dont le centre demeure introuvable.
Comme un livre en attente d’être terminé.
https://diplomes2016.villa-arson.org/ghita-skali/
Gabrielle Decazes : « Faire paysages »
Réalisés avec des matériaux industriels et précaires, des ciments qui s’effritent ou des formes qui s’effacent, les sculptures de Gabrielle Decazes organisent un paysage de pierre, entre piliers de grottes pétrifiantes, colonnes de temples Khmer, et panneaux de peinture au béton évoquant la pierre de lune.
Gabrielle Decazes nous parle ainsi d’un monde disparu ou en voie de disparition, fragile comme l’argile et somptueux comme un temple. Elle installe des paysages qui flottent, du côté de l’invisible et de l’impermanence. Au delà des mots.
Une autre interprétation de la précarité du monde, celle des formes ou d’un arrière-pays archaïque revisité avec une grâce aérienne, comme la poétique élégante du rêve.
http://gabrielledecazes.tumblr.com/
Andrés Baron : « Photographie signée et pliée (Francisca) »
La photo d’Andres Baron repose sur l’idée littéraire de la poésie de la correspondance. Une fois la photo prise, l’artiste l’envoie pliée à la personne qu’il a portraiturée, qui la lui renvoie dédicacée. « Mangue et papillon dans une pochette en plastique » déploie ses couleurs acidulées, et ses montages érudits pour un dispositif qui tourne autour du « dispositif d’affection ».
Une œuvre sensuelle et généreuse, entre les plis.
L’exposition du Salon de Montrouge est lumineuse, intense et poétique. On y découvre les infra-mondes de récits individuels ou collectifs, portés par des paysages intérieurs singuliers, qui nous questionnent sur notre relation à notre propre histoire.
Danièle Pétrès