« La cathédrale » et « Le 17 novembre »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de «Paris-Briançon » de Philippe Besson. Merci à tous de votre participation ! Parmi les textes sélectionnés, voici celui de Véronique Desboeufs et de Sandrine Drapier-Ferry.
Véronique Desboeufs

La cathédrale

Un après-midi d’octobre, dans la rue Libergier qui mène à la Cathédrale.  L’air est doux, le vent agite le feuillage rougeoyant des platanes.

On ne voit qu’elle, sa pierre ocre se détachant sur le fond bleu du ciel. Les échafaudages ont été retirés, dévoilant les trois portails ornés de sculptures d’anges et de saints.

Sur le pavé gris du parvis, un couple passe, se tenant par la main. Elle, les cheveux longs et bruns, l’air rieur. Lui, rêveur, cheveux bouclés, lunettes rondes sur le nez. Il l’attire vers lui, l’embrasse. En face, les statues des anges sourient au soleil.

Un clocher tinte. Il est quatre heures. Un homme, jeune encore, s’avance vers le portail de gauche. Il tient une petite fille, la sienne sans doute, par la main. Elle s’arrête, lève la tête pour regarder les statues. Elle dit quelque chose à son père en montrant une du doigt. Il lui répond en souriant, puis pousse la porte.

A l’intérieur, l’épaisseur des pierres étouffe les voix, éteint la chaleur du dehors. On se déplace à pas lents, silencieux. La lumière de l’extérieur illumine les vitraux. Le murmure des voix répond, de loin en loin, à la lumière vacillante des cierges.

Au cœur de la nef, une jeune fille est assise. Toute jeune, à peine quinze ans. Brune, les cheveux longs. Les yeux fermés, lèvres closes, elle ne prie pas. Une larme perle au coin d’un œil, glisse le long de sa joue gauche sans qu’elle l’essuie.

Elle reste un moment, immobile. Puis se lève et s’en va.

V.D.

Sandrine Drapier-Ferry

Le 17 Novembre

C’est un samedi froid d’automne. Un vent mauvais souffle et plie les branches des arbres. Le long de la route départementale, des usines abandonnées en dépôt de bilan.

Puis le centre-ville d’une bourgade de province. Tout autour de l’église, des devantures de magasins vides ou aux volets fermés. Une silhouette ouvre la porte de la boulangerie, l’unique magasin encore ouvert. On se croirait dans une ville fantôme.

Un rond-point mène à une zone commerciale. Des silhouettes jaunes, compactes, emmitouflées, tournent inhabituellement sur la route. Un hypermarché, temple de la consommation, trône non loin de là. Des hommes et des femmes habillés de gilets jaunes de signalisation traînent des caddys jusqu’aux portes pour les bloquer. De la musique dans des enceintes, des coups de sifflets tonitruants. On pourrait se croire à une foire, s’il n’y avait quelques pancartes, écrites à la hâte sur de grands cartons de récupération, qui disent le grand ras le bol de ces gens.

Eliane semble un peu perdue. Elle ne connaît personne mais, entourée des autres, elle se sent peu à peu emplie d’une chaleur réconfortante. Elle ne se savait pas si en colère mais, après vingt ans de travail, elle touche à peine de quoi survivre et cette nouvelle taxe sur l’essence va plomber son budget. Déjà, qu’elle se restreint de tout le superflu.

Alors, elle se redresse, et fièrement, juste devant le directeur du supermarché furieux, elle lève le poing en l’air et se met à crier des slogans anticapitalistes.

S.DF