À propos de La carte des Mendelssohn, de Diane MEUR (Sabine Wespieser, 2015).
Extrait
« Et c’est seulement en 2013, lors d’un bref retour à Berlin, que j’ai compris que je n’écrirais pas le roman des Mendelssohn mais le roman vécu de ma recherche sur les Mendelssohn, dont je serais le seul personnage répondant à mes critères du personnage de fiction, puisque je ne connais pas d’avance ma propre vie (façon de vous dire que j’ignore absolument où et quand finira ce livre). Un personnage trottant en bottes de sept lieues dans un parc temporel de deux ou trois cents ans, bondissant en avant, en arrière ou en diagonale sur l’échiquier de la Terre, car le Mendelssohn-Complex couvre quatre des cinq continents. » (pp. 142-143)
Note
C’est l’histoire d’un roman impossible. L’idée est d’écrire sur Abraham Mendelssohn (1776-1835), huitième enfant de Moses, philosophe mort trois ans avant la Révolution française, et père du compositeur romantique. Il semble n’avoir rien fait de sa propre vie ; mais le maillon, moins faible que prévu, a déjà fait l’objet d’une biographie de 700 pages et le Mendelssohn-Complex fait couler des fleuves d’encre. Où, dans ces conditions, laisser fleurir une fiction ?
Le roman devient le journal d’une recherche (vies, liens, anecdotes, voyages, rencontres), articulé à la chronologie d’une descendance. Ce qu’on peut encore appeler un roman, ou un essai subjectif, touffu mais dans quoi on glane, et où les aventures de l’autrice pèsent aussi lourd que tous les Mendelssohn réunis.
Sterne et Diderot ne sont pas loin, leur esthétique de la distanciation vole au secours de la malheureuse. Le plaisir naît de la diversité du matériau, que « tient » de façon miraculeuse la prose pétulante de l’auteur ; de la méditation proposée sur la famille, la généalogie, l’inanité de toute quête des « origines » ; et de la variante proposée pour résoudre l’aporie du récit : comment écrire trois siècles de la vie d’une « famille » qui comprend des milliers de membres ?
Histoire d’une montagne, d’Élisée Reclus, donne la clé. Une carte rassemble les traces (carte et trace sont des anagrammes). Le lieu du roman, c’est la famille changée grâce à cette carte en paysage géographique. Pas d’algorithme, ici, on n’est pas chez Perec, mais une confiance résolue dans ce chaos créatif que sont le hasard et la vie elle-même.
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- Fondateur et directeur pédagogique d’Aleph-Écriture, auteur de romans et d’essais.