On ne connait souvent de Philippe Delerm que « La première gorgée de bière », un livre inspiré, aérien, issu d’une longue fréquentation du bonheur. Pas un bonheur béat, sûr de son bon droit, tonique et salutaire, obligatoire ou ostentatoire ; un bonheur nourri de la reconnaissance des instants fugaces qui font le sel d’une vie choisie en toute connaissance de cause. Parce qu’elle nous convient mieux que d’autres, offre plus de possibilités d’être libre. Dans « Journal d’un homme heureux » on trouve ainsi la genèse de ces premières gorgées de petits bonheurs à venir.
Manuel de savoir vivre et journal d’un écrivain qui n’est pas encore connu du grand public, ce journal de l’année 1988-89 décline ces jours où Philippe Delerm choisit d’enseigner à mi-temps, tout comme sa femme, pour prendre le temps de vivre, d’écrire… et de voir grandir leur fils, Vincent.
Extrait: « Je me suis levé ce matin en pensant que la journée allait être bonne. Je crois que je me coucherai ce soir en me disant que je suis le plus heureux des hommes. Comment ne pas frissonner un peu à cette idée ?
Je suis riche, incommensurablement riche de ce qui manque à presque tout le monde : le temps. »
Ce journal est celui d’un âge d’or.
Choisir de vivre à la campagne loin des milieux littéraires et parisiens.
Regarder par la fenêtre pousser les fleurs de son jardin, au rythme des saisons.
Prendre le temps de vivre sa vie, d’admirer sa compagne, d’aimer son enfant.
Écrire en pensant qu’on sera, un jour peut-être, reconnu ».
Souvent on sourit, on acquiesce, on souhaiterait avoir fait des choix similaires. Mais n’est pas Philippe Delerm qui veut. Rencontrer une femme qu’il aime, apprécier sa chance d’être aimé, sentir qu’il faut travailler beaucoup pour un jour écrire ces livres qui lui permettront de toucher, peut-être, plus de 2000 lecteurs, et savoir vivre en attendant, vivre surtout. Regarder les plantes du jardin pousser, en planter. Écouter la pluie tomber, lire et recevoir des amis. Connaitre les gens du bourg, s’intéresser à ses élèves parce qu’ils lui apprennent quelque chose. Admirer et écrire ses admirations aux intéressés.
Lire beaucoup. Parler, oser tout par écrit. Avoir confiance en sa sensibilité. Avoir une croyance, ne pas la lâcher.
Tous les livres qui le feront connaitre plus tard, ils sont là. Dans le choix délibéré de ne rien faire d’autre que d’écrire chaque jour, sans pression du « grand roman », pour y puiser le muscle, l’énergie, une certaine connexion avec ce qu’il y a de vrai en lui.
Expérimenter que l’important dans la vie c’est d’abord de la vivre avant de la penser.
Un livre à lire, spécialement en cette période où les « fêtes » de Noël nous invitent à errer entre notre passé et notre présent, dans l’immobilité d’un futur ajourné au 1er janvier.
Avant les bonnes résolutions, ne prendre aucune résolution. Se laisser vivre et emporter par le bonheur fragile, au détour d’une promenade dans le jardin, de se découvrir simplement vivant. Aux côtés d’un artiste de la joie simple . Et lire Delerm, finalement.
Journal d’un homme heureux, Philippe Delerm, Points Poche (octobre 2017)