Isabelle Rossignol a commencé à publier en 1998 aux éditions du Rouergue et poursuivi son travail d’autrice en alternant fictions adultes et ouvrages jeunesse (La guerre des jupes, Talents hauts, 2019). « Chambre 152 », publié par une nouvelle maison d’édition, Le Panseur, marque son retour au public adulte depuis « Au-dessous du genou » (éditions Joëlle Losfeld, 2008).
Le texte met en présence trois êtres, une femme en fin de vie, sa fille et le corps médical. Une seule voix s’exprime, celle de la fille. Triangle dissonant et vertigineux : les médecins ont refusé d’accéder à la volonté de mourir de la mère « aux poumons de plâtre », qui se sait condamnée. Comme leur lance la narratrice, « vos corps unis massés qui ne font qu’un et pour cela, toujours, j’ai éprouvé à votre égard une très grande, une très très grande méfiance et vous de même pour les progénitures de mon espèce – nous ne nous aimons pas. » Mère et fille sont abandonnées à leur face à face silencieux : le masque à oxygène qui occupe le bas du visage de la mère l’empêche de parler. L’environnement est gris et froid comme la chambre d’hôpital et l’oxygène qui gerce les lèvres maternelles. Les deux femmes se regardent, se touchent ; la fille parle pour deux. Le temps est stationnaire, les trajets contraints, entre le domicile et l’hôpital et, parfois, la plage. À mesure que la fin approche, les souvenirs s’agitent, nourrissant le mémorial immatériel de leur histoire commune. Chacune dans sa tête, derrière ses yeux. Que reste-t-il du vif, du vivant ? La parole de la fille, qui flamboie, monologue, soliloque, éperdue, impuissante donc coupable. « Vous me parlez serment mais moi aussi. Sur ce point qu’y a-t-il de plus à dire c’est vrai que nous avons chacun nos serments vous à la science, moi à toi. »
En 152 fragments avec retraits à la ligne et pas ou peu de ponctuation, Isabelle Rossignol déploie l’arc des sentiments et des émotions traversés par la narratrice. La fin de vie, le droit à mourir, l’acharnement thérapeutique… On a là les ingrédients du « sujet de société » mais Isabelle Rossignol est écrivaine, et la ligne qu’elle creuse est celle de l’écriture : faire entendre cette voix tour à tour furieuse et terrassée. Comme une balle de flipper, la phrase bifurque, s’adresse sans transition à l’une, aux uns, aux autres, s’attarde, digresse, déroule ses arabesques surprenantes. On la relit, on attend sa fin, elle reste en suspens, repart ailleurs ou chute. L’horreur, la souffrance, le déni, l’injustice, la révolte et l’amour : il faut le magnifique travail de styliste d’Isabelle Rossignol pour que cette tempête s’approche à juste distance du lecteur et que celui-ci prenne place dans cette antichambre de la délivrance.
Marie-Pascale Lescot
Isabelle Rossignol, Chambre 152, Les éditions du Panseur (Août 2022)