On peut voir le Centre Georges Pompidou comme un centre culturel ou un espace d’exposition. On peut le voir aussi comme un immense zoo où déambuleraient des humains privés de ciel, emprisonnés dans la ville. Si livrés à eux-mêmes qu’ils éprouvent le besoin de se rendre au musée comme on se rend à sa fenêtre pour observer l’horizon. Pour respirer.
Les toiles de Gilles Aillaud, qui a dédié son œuvre au règne animal, apparaissent dans la scénographie de l’exposition du Beaubourg comme une mise en abîme de notre condition humaine. Certaines toiles nichées dans une alcôve, un banc à proximité, restituent presque la sensation du double enfermement qu’on ressent au zoo. Saute alors aux yeux ce qui m’avait échappé pendant près vingt ans (ces toiles je les ai déjà vues), la présence des barreaux, qui emprisonnent des félins splendides. Avec une scénographie différente, j’aurais continué à voir la délicatesse des feuillages de caoutchouc, l’exotique présence des perroquets. La fascination du spectacle de ces grands formats savamment colorés.
« Je peins des choses, je suis absolument incapable de peindre une idée. Je peins des choses parce que la force des choses me paraît plus forte que toute idée. Pour nier une chose, il faut la détruire, tandis qu’une idée, c’est du vent, on peut toujours fermer l’oreille ». Gilles Aillaud
Né en 1928, Gilles Aillaud a d’abord voulu être philosophe, il s’est efforcé de « peindre philosophiquement », une oeuvre que la tradition chinoise aurait nommée « Peinture lettrée ». Contemporain de Michel Foucault (Surveiller ou punir), de la société du spectacle décryptée par Guy Debord, Gilles Aillaud l’est aussi des oeuvres pop et de la littérature de Georges Perec (Les Choses). Il expose pour la première fois en 1950, fait partie de la figuration narrative dix ans plus tard aux côtés d’Arroyo. Dans une palette froide, il travaille avec un épiscope pour projeter une photographie sans déformation avant de la peindre (marque de fabrique de la génération des Nouveaux réalistes).
À travers ces représentations de rhinocéros, éléphants, nous sommes les voyeurs de ces animaux qui nous livrent leur pure beauté avec tristesse. Le regard d’une panthère est bouché par deux boules opaques bleu pâle, elle a perdu son âme.
Le trait est léger, il y a très peu de matière, et à la manière de Cézanne, ce sont des ombres que surgissent les volumes des corps, de l’eau, du ciel. Il est impressionnant de noter qu’au fil des années, il y a de plus en plus de blanc sur la toile, comme pour ces immenses tableaux peints dont les croquis ont été faits en Afrique. Dans l’un d’eux, le dos d’un éléphant rejoint la savane, des flamands roses se regroupent pour la nuit sur un point d’eau. Gilles Aillaud, après son voyage au Kenya, cherche la plus grande simplicité, jusqu’à la disparition de la figure. Il s’éteint en 2005 en nous laissant des milliers de dessins et d’estampes, et 350 tableaux, d’une force intacte.
Danièle Pétrès
Gilles Aillaud, Animal politique. Rétrospective au Centre Georges Pompidou à Paris, jusqu’au 26 février 2024
« L’art est devenu comme une sorte de zoologie, disait Aillaud, et les tableaux sont comme des espèces plastiques. C’est ça qui serait à transformer, car un tableau n’est pas une espèce plastique à ordonner parmi ses congénères et à laquelle seuls peuvent goûter ceux qui y ont accès. C’est le discours que tient une personne à d’autres personnes sur le monde dans lequel elles vivent ensemble. »