Certains premiers chapitres portent une superbe promesse fictionnelle en installant le récit. Alors comment écrit-t-on un chapître un en forme de détonateur? Voici les réponses de Frank Secka, qui animera un stage « Initiation aux techniques narratives » pour Aleph-Écriture à Paris 22 au 26 Août 2022.
L’Inventoire : En France, il est peu question de « techniques » dans l’écriture. Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les techniques narratives ?
Frank Secka : Dans les facultés de lettres anglo-saxonnes, il y a toujours eu un cursus réservé aux aspirants écrivains. Chez nous, cela commence à peine à se faire. Les auteurs français se sont longtemps comportés comme s’ils écrivaient sous la dictée des muses.
Pour expliquer ce que sont les techniques narratives, j’utilise souvent la métaphore des nombres. Les nombres n’existent pas dans la nature mais ils sont opérants. La nature, dans ses manifestations, semble ainsi répondre aux lois de la physique, ce qui est assez paradoxal.
Les techniques narratives, de La Poétique d’Aristote à Story de Robert McKee, sont un peu les nombres de la dramaturgie — c’est une théorie personnelle. Selon moi, dans son ouvrage, Aristote n’a pas édicté ex nihilo des règles que les auteurs suivraient aveuglément depuis, il a plutôt mis à jour ce dont un être humain a besoin, naturellement, pour jouir pleinement d’une histoire qu’on lui raconte. Les contes issus de la tradition orale recouraient déjà à ces principes.
L’Inventoire : Savoir écrire, c’est une question de technique ?
FS: Non. J’explique souvent aux écrivants qu’en fermant un roman qui nous a plu, on se souvient d’une scène, d’un personnage, d’une voix… et non — fort heureusement — des techniques narratives mises en œuvre par l’auteur. Ce n’en sont pas moins ces mêmes techniques, qui nous auront permis de lire ce texte jusqu’au bout et de l’apprécier globalement comme une forme préhensible.
Ceci dit, parmi mes ouvrages préférés, il y a Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke, et j’assume que ce texte échappe manifestement aux canons de la dramaturgie.
L’Inventoire : Pouvez-vous nous donner un exemple de technique narrative et de son utilisation?
FS: L’ironie dramatique est un exemple intéressant.
Dans ses entretiens avec Truffaut et Chabrol, Hitchcock affirme qu’il faut toujours que le spectateur en sache le plus possible, et même qu’il soit en avance sur les protagonistes de l’histoire. C’est un des principes du suspense. Le spectateur sait quelque chose que les personnages du film ignorent — une bombe est cachée sous la table. Il en va de même dans le burlesque, l’épouvante, le mélodrame… dans toutes les formes narratives où la technique est la plus opérante.
Le spectateur sait quelque chose que les personnages du film ignorent — une bombe est cachée sous la table.
Mais cela vaut aussi pour la littérature générale. Imaginons que, dans Cyrano de Bergerac, le spectateur ignore que c’est Cyrano, et non Christian, qui rédige les lettres destinées à Roxane, la dramaturgie de la pièce ne fonctionnerait plus. Dans Les Misérables, le lecteur est un des seuls à savoir que Jean Valjean et Monsieur Madeleine sont une seule personne. Les exemples sont légion. L’ironie dramatique est un outil puissant auquel peu d’écrivants recourent spontanément.
Si je peux me permettre un second exemple, je prendrais celui de l’activité dramatique — il s’agit cette fois d’écriture et non de construction. Je suis persuadé qu’un roman ne peut s’imposer comme forme vivante que lorsqu’il laisse la possibilité d’une compréhension autonome.
On pourrait ainsi avancer que, dans un bon roman, l’essentiel de ce qui sera ressenti par le lecteur n’a pas été écrit, mais que l’auteur, par le biais de l’activité des protagonistes, de l’enchaînement des situations, etc. nous a généreusement offert l’opportunité de le percevoir. Ceci est assez bien résumé dans le fameux Show, don’t tell anglo-saxon. Au fil des ateliers de techniques narratives, nous faisons la chasse aux explications.
Propos recueillis par l’Inventoire
Frank Secka : Ses romans
– Le garçon modèle (éditions du Rouergue, collection La brune, 2003)
– Chbik (dans le recueil Vingt ans pour plus tard, éditions Elyzad, 2009)
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