Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka et figure parmi les dix textes sélectionnés.
Viviane Clément
Fragments
Elle se souvient des raisins qui pendaient sous la treille de la terrasse. Elle se souvient de leur goût sucré et du jus qui dégoulinait le long de ses mains mais elle ne sait plus qui les cueillait pour elle.
Elle se souvient que sa mère est morte mais elle en parle au présent. « Maman aime beaucoup les tulipes, je trouve ça bizarre, ces fleurs n’ont rien d’extraordinaire. »
Elle chante encore très joliment « La belle de Cadix ». Elle se souvient du jour où elle a vu l’opérette pour la première fois et de la robe qu’elle portait, rouge à pois blancs.
Elle se souvient de Rose mais elle ne sait pas qu’après sa mort elle a arraché tous les rosiers de son jardin.
Elle connaît ta détresse et te tient la main même si tu crois qu’elle a tout oublié et que tu l’envies.
Elle dit se souvenir de son premier baiser, un grand jeune homme avec une petite moustache qui lui chatouillait le menton. Ça ne lui avait pas beaucoup plu.
Quand elle passe vers le port, elle se rappelle le bateau et les valises entassées sur le pont. Elle revoit le visage dur et triste de sa mère qui lui serre la main bien trop fort.
Elle se souvient d’être entrée chez les voisins par la fenêtre de la salle de bain pour venir en aide au chien qui ne cessait d’aboyer mais elle ne se souvient pas de son nom.
Elle se rappelle avoir coupé tes cheveux, courts, trop courts aussi face à tes larmes et ta colère tu n’es pas allée en classe pendant une semaine.
Elle se souvient du livre d’histoires que son père lui avait offert. Il l’a accompagnée toute sa vie mais maintenant elle ne sait plus où il se trouve. Elle ne se rappelle plus qu’elle te l’a donné.
V.C