Ludovic Delebassée
Dans l’après-midi du 6 juillet 2022, alors qu’il débutait ses congés dans sa maison de campagne de Moustierac, Paul Prelezny tomba par hasard sur l’annonce Internet suivante :
Concours d’écriture
Écrivez une nouvelle sur le thème de l’orage. Frais d’inscription : Vingt euros.
Dépôt des textes au plus tard le 30 juillet 2022 avant minuit.
Pour une raison qui demeura inexpliquée — mais fallait-il vraiment une raison ? — Paul s’inscrivit au concours.
Le soir même, il se mit à écrire dans la pièce mansardée du deuxième étage qui lui servait de bureau, et au fil des jours une histoire apparut. Une histoire d’orage. Et de corrida.
Claire, sa femme, éclata de rire lorsque Paul expliqua qu’il s’était mis à écrire en vue de participer à un concours. C’était un soir. Il faisait encore chaud. Déjà presque nuit. Une bougie brillait sur la table du jardin.
— Et l’histoire ? Tu as une histoire ? demanda-t-elle, portant un verre de vin à ses lèvres. Elle souriait encore.
— Oui, répondit Paul.
Et il se mit à parler d’un ciel aux boursouflures violettes, hurlant de colère ; d’un toréro, l’œil sombre luisant sous une mèche brune collée au front comme une trainée de cendres, pieds nus dans l’arène devenue marécage ; d’un taureau à la bravoure inouïe ; du fracas du tonnerre ; d’un habit vert et or étincelant de pluie. Plusieurs fois il répéta — étincelant de pluie — cela semblait le ravir. Sa jambe droite tressautait sous la table. Claire le regardait d’un air inquiet.
À la fin, il s’était levé et mimait sa dernière scène: Devant une foule silencieuse, l’homme s’avance lentement vers l’animal, au centre de l’arène. Il pose une main entre ses deux cornes et commence à le caresser. La bête, épuisée, baisse la tête, tandis qu’une épée se dresse vers le ciel.
Paul leva une main et, regardant Claire, annonça : « Quand un dernier éclair les foudroie tous deux ».
Il y eut un silence.
Claire le fixait. Paul souriait. Au fond du jardin, les hydrangeas s’agitèrent et la flamme de la bougie vacilla.
Paul revint s’asseoir à table, but coup sur coup deux verres d’eau et ajouta :
— Je n’arrive pas à écrire cette fin… un truc m’échappe… ce dernier éclair…. je n’arrive pas à le décrire… il me faudrait un orage.
Les jours suivants, la chaleur s’intensifia. Mais le ciel restait limpide. Et la page restait blanche. Paul n’arrivait pas à terminer sa nouvelle.
Les bulletins météorologiques devinrent une obsession. À la télé, à la radio, toutes les heures, il les écoutait, tête baissée, sourcils froncés, mains jointes reposant sur les lèvres. Plusieurs fois, la nuit, Claire le retrouva dans le vestibule, le nez collé au baromètre qu’il tapotait du bout de l’index. L’aiguille ne bougeait pas.
Un matin, au déjeuner, un nuage apparut à l’horizon. Paul le repéra aussitôt. Poussant un cri, il quitta la table, monta dans son bureau et en revint une paire de jumelles de chasse à la main. Il passa le reste de la journée à l’observer. Le nuage vira du gris au blanc, s’effilocha et disparut. Paul était désespéré.
Le 30 juillet, il n’apparut pas de la journée. Claire décida de ne pas le déranger. C’était le dernier jour.
Vers 23 heures, elle gagna le deuxième étage. La porte du bureau était fermée. Elle l’ouvrit aussi doucement qu’elle le put et les larmes lui montèrent aux yeux.
Dans une pénombre bleutée, recroquevillé sur sa chaise, nu sous une robe de chambre brune posée sur les épaules, la tête projetée vers l’avant et comme attirée par l’écran devant lui, Paul ressemblait à un papillon de nuit figé dans la lumière. Quelques livres, des feuilles jonchaient son bureau. Un ou deux doigts s’animaient parfois sur le clavier dans un cliquetis furtif.
Claire avala sa salive avant d’entrer.
— Paul, il fait une chaleur ici ! dit-elle, s’avançant vers la fenêtre.
— Putain ! Touches pas cette fenêtre merde ! Les bruits, là, dehors…Tous ces bruits ça me….
Elle fit un pas vers lui.
— Arrête de me déconcentrer merde ! A minuit c’est fini ! Je dois la rendre avant minuit ! Il vociférait et semblait vouloir s’extraire de sa chaise.
Claire quitta la pièce sans un mot. Un moteur démarra dans la nuit.
Le cliquetis du clavier reprit. Et s’arrêta un peu plus tard.
Paul s’adossa à son siège et soupira. Il ôta ses lunettes et se passa une main sur le visage. L’horloge de l’ordinateur indiquait 00 : 10. Il abaissa l’écran. Ce fut l’obscurité.
Un éclair blanc déchira le silence. Une pluie rouge inonda le bureau.
L’averse fut de courte durée.
Claire revint à l’aube et découvrit le corps. D’autres personnes arrivèrent ensuite et l’on confirma que le fusil de chasse était bien celui de Paul. L’enquête conclut au suicide.
Ce matin-là, sur le bureau de Paul Prelezny, une feuille s’agitait parfois à la faveur de courants d’air. La myriade de gouttes de sang projetées dans la nuit y avait fait apparaitre une forme. Celle d’un matador qui d’une main montrait le ciel, et de l’autre caressait un taureau.
Personne n’y prêta attention.
L.D.