Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « À l’est des rêves ». Parmi les 7 textes sélectionnés voici celui de Evelyne Gaeng et de Ludovic Delebassée.
Evelyne Gaeng
Solstice d’hiver
Je suis assise près de ton lit. Les rideaux de la fenêtre sont tirés. Ton regard parcourt les espaces du jardin. Quelques pétales de roses restent accrochés à leur tige, souvenir d’un été où tu étais absente. Tu admires les ondulations de feuilles mortes autour des arbres, comme tu l’avais souhaité, nous avons gardé les couleurs de l’automne. Le soleil oblique salue le solstice d’hiver. Tu le sens, les jours vont allonger. Un mince sourire écarte tes lèvres pâlies par le long séjour à l’hôpital. Calée contre les oreillers, tu fermes les yeux. Ta main bleuie par les piqûres se pose sur la poitrine. Je navigue au rythme de ta respiration. Sous les paupières fermées, je vois passer un souffle, je me dis que tu es en train de rêver. Je me love au fond du fauteuil, avec toi je recommence le voyage…
Tu es à Fez, ta ville natale. Avec une bande de copains, vous partez pour un pique-nique au bord de la rivière. Vous êtes habillés de shorts et de chaussures légères, prêts pour la baignade. Les amis s’éloignent. Daniel t’enlace tendrement. Il te supplie de l’accompagner en France, il te demande de l’épouser.
Tes mains s’agitent, tu as mal ? Peut-être que tu retiens la main de Daniel, celle qui t’entraîne loin de ta famille, loin de tes amis ?
Tu n’as jamais voulu retourner sur les traces de ton enfance.
Tu ouvres les yeux, un voile triste apparaît, puis s’estompe. Tu te redresses et tu me dis : j’ai revu la rivière, j’ai revu mon père et ma mère. Ils m’attendent. Dès que je serai guérie, je ferai le voyage. Cette fois je suis prête.
Ludovic Delebassée
Jour bleu, nuit noire
La lumière s’infiltre au travers des persiennes. Ça m’empêche de dormir. Jour bleu… clic… nuit noire… jour bleu… clic… nuit noire… jour bleu… clic… nuit noire… Putain, faut vraiment être con pour coller un néon à côté d’une fenêtre ! Elle, elle dort. Depuis un moment, je la regarde clignoter dans la nuit. En pointillé. Jour bleu… clic… nuit noire… jour bleu… clic… nuit noire… jour bleu… clic… Le bruit des draps. Elle bouge. Je me penche au-dessus de son visage, une ride se creuse entre ses sourcils et d’autres encore sillonnent son front… clic… Elle disparaît dans l’obscurité. Quand elle revient, j’observe sous le fard électrique bleuté des paupières, les mouvements saccadés de ses globes oculaires, incessants, minuscules, frénétiques et clic… nuit noire… Mâchoires crispées, pommettes tendues, elle réapparait , bouche tordue par un rictus, ses lèvres s’animent, collées l’une à l’autre… elle va parler… peut-être… mais aucun son ne sort, aucun mot ne vient. Elle se calme, enfin. Je me dis qu’elle rêve. A l’aube, je la questionne, elle me répond : « Oui, mon amour. Nous étions dans un hôtel et il y a eu… » et tandis que son rêve remonte à la surface, je vois ses yeux s’agrandir, perdus dans le vague de la chambre. Son sourire se fige. Elle me dit : « Va-t’en ! Vite ! … Maintenant ! Pour moi c’est trop tard ! ».
Un bruit dans la rue.
La terreur sur son visage.
J’ai attrapé mon sac avant de sortir.
Ça a commencé comme ça.
Le cauchemar.
Crédits photographiques : © Danièle Pétrès