Vient alors ce premier matin …
Voilà un roman qui combine le récit de deux initiations : celle d’un jeune indien d’Amazonie qui deviendra chaman et celle de la narratrice pour la forêt. C’est d’ailleurs, le même indien, dont on suit, alors qu’il est un enfant de 8 ans, l’épreuve initiatique, et qui longtemps après, entraîne la femme dans ses courses sylvestres et lui apprend à voir, à écouter, à parcourir.
Le livre commence avec un jeune garçon de 8 ans que son père emmène puis abandonne avec un bracelet de plumes, une pierre, une flûte et un sachet « d’herbe à tigre ». Première nuit et « Ton dos a senti le bord d’une écorce et l’on dirait que l’arbre s’ouvre, tes pieds s’enfoncent dans une sciure humide ». A cette première nuit suivra tout un cycle de lune pour cette épreuve, dialogue avec le monde. Et celui appelé à devenir chaman, découvrira les premiers signes de son don de guérison et de métamorphose grâce à « l’herbe à tigre ».
« quatre vingt ans se sont écoulés » depuis le jour où l’enfant fut laissé près de l’arbre. Et c’est un vieil homme que rencontre la narratrice, dans un village d’Amazonie, en Équateur, et qui, curieux de la voir noter dans ses cahiers, l’initiera à entendre et parcourir la forêt. « … si tu n’as pas d’yeux pour les livres, – lui dit-elle – moi, je n’ai pas d’yeux pour la forêt. On n’apprend pas vraiment dans nos écoles à regarder le monde, à l’écouter. »
Et dans cette étendue dense, rare, habitée et menacée par la modernité – recherches en pétrole qui souillent les lieux, les bêtes et les hommes– il lui fait partager l’esprit, les esprits du lieu. Comme des lianes, épisodes de vie, d’amour, de métamorphoses du chaman et moments de randonnées, de découvertes et d’appropriation de la narratrice tissent ce livre.
« La terre vibre sous nos pieds, au souffle régulier de la roche attendrie par les doigts du ruisseau, dans des odeurs de menthe vive et de fruits écrasés, où viennent aussi les libellules, où passent parfois les colibris. »
L’écriture d’Anne Sibran est précise, sensuelle, envoutante comme les lieux et les êtres qu’elle décrit. C’est un roman ensorcelant, mystérieux, appelant tout autant à entrer en soi qu’à découvrir les parties cachées du monde. Entre ombre et lumière, on progresse en lecture comme la narratrice suivant le chaman dans ses parcours : avec la certitude de partager quelque chose de fort et qui nous transforme. Et comme un révélateur, il vous invitera peut-être à écouter, à palper, à humer des coins de nature, de très proches, et de plus lointains, avec le respect qu’il leur est dû, et à entrer en contact avec cet inestimable : ce que pensent les forêts.
Laurence Faure
Laurence Faure fut comédienne et intervient en formation et coaching. Elle anime à Aleph-Écriture des modules, des stages et cycles – l’écriture théâtrale, le conte, faire émerger un projet personnel.
Pour aller plus loin: Enfance d’un chaman, de Anne Sibran est publié par Gallimard dans la collection Haute Enfance