À propos de L’amitié de Roland Barthes, de Philippe SOLLERS (Seuil, octobre 2015).
« Éloge d’un éloge » par Alain André
Extrait
« La littérature permet de dire plutôt juste, vrai, sur la politique. Pourquoi ? Eh bien c’est tout le travail immédiat de Barthes : comment éviter la stéréotypie, le cliché ? Le monde ment, la marchandise ment (…) En 1957, auteur à peine connu, Barthes publie donc un petit livre drôle et froid, insolite, insolent, corrosif, Mythologies. Son but est de décrire à distance, pour mieux la neutraliser, la comédie sociale. La méthode n’est pas très différente d’un voyage de Gulliver, sauf que les Lilliputiens, ici, sont prisonniers de croyances spontanées et de superstitions qui sont, peut-être, toujours les nôtres. On pensera que tout cela est loin, tant nous avons vécu de transformations et de mutations. Mais non. Prenons un exemple concret : le poujadisme, toujours à l’œuvre. »
Note
Certaines publications dictées par le centenaire de la naissance de Barthes ressemblent à des enterrements de deuxième classe (comme le détestable Âge des lettres, d’Antoine Compagnon, paru chez Gallimard en septembre). D’autres, on respire, soulignent sa décapante actualité.
Pourquoi en parler ? Il se trouve que Barthes fait partie des auteurs dont le travail accompagne les ateliers d’écriture depuis le début. L’équipe d’Aleph a créé une lecture musicale « Avec Roland Barthes, aujourd’hui ». Un week-end d’écriture à l’intitulé identique s’est déroulé ce mois de février. Nous discutions des parutions en cours.
La biographie proposée par Tiphaine Samoyault (Seuil, 2015) éclaire un parcours et des enjeux. Mais seul L’amitié de Roland Barthes, le gouleyant ouvrage d’un Philippe Sollers au mieux de sa forme, permet de mesurer la totale actualité de la pensée de Barthes. Il rassemble un essai de 2014, un article paru dans Tel Quel en 1971 (pour mémoire), le fac-similé et la transcription des lettres adressées par Barthes à Sollers au fil des années 1964-1979, ainsi que deux articles parus en 2009 et 2015. Si le narcissisme de Sollers est parfois confondant, il faut saluer bien bas l’extrême intelligence littéraire et politique (ici, c’est la même chose), qui fait pétiller la plupart de ces pages. L’auteur de La Guerre du Goût porte le fer exactement là où il fallait le faire. On jubile.
A.A.
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Alain André est fondateur et directeur pédagogique d’Aleph, auteur de romans et d’essais.