« Elles », Mireille Sattler

Sur une proposition d’écriture de Sylvette Labat à partir du roman de Pierric Bailly « La Foudre » (P.O.L, 2023), ce texte figure parmi les huit sélectionnés.

Mireille Sattler

Elles

Elle a 16 ans, elle est grande, maigre, mal à l’aise dans une peau étriquée et resserrée autour de ses os. Elle se cogne aux murs, aux chambranles des portes, aux gens qui l’entourent. Elle se cogne à la vie et sa maladresse est une humiliation pour elle et un objet de raillerie pour tous.

Cette inaptitude à habiter l’espace est un supplice. Elle se sent seule.

Le médecin de famille lui recommande le yoga. Mais elle ne sait jamais à quel moment respirer ni que faire de ce corps tout raide qui n’entre dans aucune posture.

Dans sa classe, il y a cette fille, Lola. Une teigneuse, petit gabarit, musclée, vive, traversant l’espace comme un courant d’air. Avec ça, quand elle se tient immobile, elle semble un chêne. Elle bat tout le monde à la corde lisse, au cheval d’arçon, au lancer de poids. Elle l’épate, elle l’envie, elle se rapproche d’elle pour ne plus la jalouser. Elles s’entendent bien, la vive-éclair et la pas-dégourdie.

Lola devient une amie, qui pose un regard affilé sur elle. Elle lui dit, j’ai une idée pour toi. Et un matin elle l’emmène courir dans la forêt de Romainville. Elle découvre la course à pied. A petites foulées d’abord, ça envoie bien. Ses jambes se déploient, l’espace s’organise autour d’elle. Et puis, le souffle se met en place, de pleines goulées d’air qui traversent son thorax. Dès le début, elle est bien, un équilibre s’installe entre le ciel, la terre et le chemin.

Elle trouve une place, sa place. Lola est à côté, qui se tourne vers elle et lui sourit.

M.S.