Iris Ducorps, scénariste de séries, anime pour Aleph-Écriture l’atelier de 5 jours « Écrire des séries télé – Initiation » à Paris Paris : du lundi 18 novembre 2019 au vendredi 22 novembre 2019. L’Inventoire a voulu en savoir plus sur le métier de scénariste mais également sur les liens entre l’écriture de séries et l’écriture littéraire.
L’Inventoire : Quel est votre parcours professionnel ? Comment êtes-vous devenue scénariste ?
Iris Ducorps : J’écris depuis toute petite, j’ai toujours adoré raconter des histoires et qu’on m’en raconte. J’ai des souvenirs de téléphile, et me suis également prise de passion pour le cinéma très tôt. Et puis un jour, les deux ont concordé : je me suis dit, je vais écrire des histoires pour faire des images.
Après avoir acquis une bonne culture générale en Lettres modernes et arts du spectacle, option cinéma à l’université, j’ai fait le Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA) à Paris.
Ensuite, j’ai eu l’occasion de travailler sur la série Plus belle la vie qui avait juste un an. Mais c’est au Gabon que j’ai eu ma première grosse expérience professionnelle. J’ai travaillé pendant 9 mois à la co-élaboration d’une série qui malheureusement n’a jamais vu le jour, comme cela arrive parfois.
Comment et pourquoi êtes-vous devenue animatrice d’ateliers ?
ID : J’avais envie d’élargir ma palette professionnelle autour de l’écriture. Je voulais pouvoir parler d’écriture, faire écrire et créer avec d’autres personnes qui n’avaient rien à voir avec mon réseau professionnel ou avec mes interlocuteurs habituels.
Un ami, Marc Gautron, a commencé à me raconter ce qu’il faisait en atelier d’écriture chez Aleph-Écriture. Ca m’a donné envie de transmettre mon expérience et d’aider des personnes qui ont des idées mais pas forcément la méthode pour les mettre en forme.
Vous êtes scénariste et animatrice d’atelier d’écriture. L’une de ces activités enrichit-elle l’autre? De quelle façon?
ID : En tant que professionnelle de l’écriture je suis confrontée de manière quasi quotidienne à la création. Cela me permet donc faire profiter directement les participants d’un atelier de mon expérience du terrain, des trucs et ficelles que j’expérimente tous les jours.
A l’inverse, animer peut enrichir ma manière de créer, notamment en voyant comment d’autres s’y prennent, en étant confrontée aux questions des participants. C’est la manière de raisonner très particulière de la série que je vais transmettre. Pour comprendre les spécificités d’un raisonnement quand on veut en faire une série, quel code on doit acquérir, quelles questions se poser quand on cherche une idée de personnage, une idée d’objectif, etc.
Potasser la dramaturgie, est la base de tout et bien sûr l’appliquer. Écrire, réécrire et encore réécrire, être capable de se remettre à la tâche autant de fois que nécessaire.
Il faut également, ne pas hésiter à tester ses idées sur son entourage, à lui raconter ses histoires. Parfois ce qui semble très clair pour soi ne l’est pas forcément pour les autres. Je ne crois pas du tout au mythe de celui qui écrit enfermé dans son bureau et hop, l’idée arrive. Le scénariste doit se confronter à l’expérience des autres, et être curieux.
Grâce à Internet, il est possible de puiser dans une mine d’informations mais ça ne suffit pas, il faut aller au contact. Aimer regarder des films, des séries, lire des BD, nourrir son imaginaire et nourrir son expérience de vie sont également indispensables.
Vous parlez de lire des bandes dessinées, elles ont un lien avec la série?
ID : On note un truc assez flagrant dans la bande dessinée : arrivé en bas de la page, on a envie de la tourner. Comme pour une série, il faut avoir envie d’aller à l’épisode d’après. Hergé faisait ça très bien avec Tintin.
Avec la bande dessinée, la dramaturgie doit sans cesse avancer. Prenez l’exemple de Gaston Lagaffe, c’est à chaque fois un sketch en une page. Même principe que la série, page après page, on retrouve les mêmes personnages dans le même décor, avec le même univers.
Comment travaille un scénariste de série ?
ID : Grosso-modo le scénariste, en tant qu’auteur est dans deux cas de figure.
Le premier : il a une idée de série. Il essaye d’abord de la placer auprès d’un producteur qui va l’optioner (obtenir l’exclusivité pour un temps limité moyennant finance pour tenter de vendre l’idée à une chaine de télévision). Cela peut s’arrêter à toutes les étapes.
Quand une chaîne est intéressée, il y a différentes phases de développement au niveau de l’écriture. Cela peut également s’arrêter à toutes les étapes. Parfois des projets sont tournés sans être diffusés.
L’autre cas de figure consiste à entrer sur des séries existantes qui ne sont pas les vôtres. Il faut avoir l’information qu’une série recherche des histoires. Vous pouvez obtenir celle-ci via votre agent et proposer alors gratuitement des idées d’épisodes en suivant la fameuse bible de la série. Si votre idée plaît, vous signez un contrat pour développer l’épisode.
Vous travaillez seule ou en équipe ?
ID : Certaines idées jaillissent seules mais je cherche plutôt le travail en équipe, à deux on a plus d’idées.
Parfois quelques co-auteurs m’appellent en me disant : J’ai bien envie que nous essayons de mettre sur pied une série polar, il paraît que France 2 cherche un peu des nouveaux personnages. On se met au travail, on fait un brainstorming.
Ensuite, certaines phases de travail se font seul, chacun repart avec une partie du boulot à creuser.
La partie recherche documentaire est importante pour l’écriture d’un scénario ?
ID : oui c’est une partie du travail importante.
Pour certains projets, j’ai besoin de rencontrer des gens. Par exemple, je suis allée passer du temps dans un commissariat de quartier. Mais je peux également passer des coups de fil quand je ne trouve pas sur Internet de réponse précise.
Il n’est pas possible de tout inventer. Même pour de la SF, à un moment donné on se confronte à des questions scientifiques. Une idée de scénario : si l’humain se mettait à muter pour redevenir le poisson initial qu’il était, comment ce serait possible ? La question peut être posée à des scientifiques. On ne fait pas du documentaire mais ce qu’on raconte doit avoir un minimum de cohérence, pour après mieux fabuler autour si besoin est.
Quelles sont les particularités de l’écriture de séries par rapport à celles d’un film ?
ID : La caractéristique de fond qui détermine tout le reste est le volume de fiction qu’il va être nécessaire de produire. Un film dure en moyenne entre 1h30 et 2h. Une série dure au minimum 6 fois 52 minutes en France, ou, dans un format plus court, 24 fois 26 minutes. Cela nécessite de trouver des situations et penser des personnages qui aient suffisamment d’épaisseur pour être déclinés épisode après épisode.
Faire durer et évoluer un personnage, saison après saison n’est pas évident. C’est une des grandes difficultés de la série.
Comment échapper au formatage des séries ?
ID : C’est une vision que certains producteurs ou certaines personnes qui travaillent dans les chaînes TV en France ont du spectateur avec un grand S. Ils pensent par exemple que le spectateur n’aime pas voir telle situation à 20h30, en réalité on n’en sait rien. Le succès de certaines séries sur lesquelles on ne misait pas un clou au départ le prouve. Fais pas ci, fais pas ça s’est terminée au bout de 10 saisons. Pourtant les audiences de la première année étaient catastrophiques. Le diffuseur a eu l’intelligence de s’accrocher, de programmer autrement la série alors que tout le monde disait ça ne marche pas car les français n’ont pas envie de se voir à travers ces deux familles et finalement la série a connu un succès phénoménal et a creusé son sillon.
Un feuilleton comme Plus belle la vie dure depuis des années. On se pose souvent la question de la représentation de la diversité française à travers les séries. Plus belle la vie a été une des premières séries françaises à montrer des personnages d’origine maghrébine, africaine, populaire. Je pense que c’est aujourd’hui encore la raison de son succès.
Qu’est-ce qu’une Bible pour une série?
ID : Il s’agit de la charte de la série, un document sur le concept, les personnages, comment ils agissent, l’univers, les décors, le ton, et parfois même le premier épisode.
Normalement, ça permet à n’importe quel auteur qui veut écrire pour la série d’avoir les bases en main afin de produire quelque chose qui soit raccord.
C’est un document qui peut évoluer.
Qui écrit cette Bible ?
ID : Un scénariste, cela fait partie de son travail mais il en existe deux types.
Des bibles un peu commerciales où l’auteur essaye de vendre son idée le mieux possible sans forcément entrer dans les détails du nombre de décors ou les moyens de production que cela sous-entend.
D’autres sont écrites une fois que quelques épisodes ont été tournés. Là vous allez trouver des détails hyper techniques, c’est une base de travail concrète, un cahier des charges..
Existe-t-il une spécificité des séries françaises ? (culture du scénario ? Dans le process général ? )
ID : Une spécificité des séries françaises réside dans notre grand respect pour le scénario. Une série, ça s’écrit, ça se réécrit, on a des exigences. On se rend compte, avec toutes les fictions qu’on voit et qui viennent de l’étranger que sans un bon scénario, il ne peut pas y avoir une bonne série.
En France, nous avons une vraie expertise pour le format court. Nous sommes reconnus pour ça à l’étranger. Un gars une fille (qui était à l’origine un format québécois), Nos chers voisins, Kamelot ou Caméra café s’exportent très bien.
Qu’est-ce qu’un showrunner ? Est-ce que ça existe en France ?
ID : C’est la personne qui assure la cohérence dramaturgique et esthétique de la série dont il n’est pas forcément l’auteur au départ. Quelqu’un qui va être présent à toutes les étapes de la série : scénario, casting, montage…
En France ça commence juste, ça se fait ponctuellement sur des séries événement. Ce sont souvent par des réalisateurs de cinéma qui utilisent les showrunners. Je pense à Eric Rochant pour Le bureau des légendes.
Petit à petit, ça va se développer, en tout cas, je nous le souhaite.
Comment expliquez-vous le succès de séries comme Game of Thrones ? Est-ce parce qu’au départ c’est adapté d’un livre ?
ID : L’auteur ou les auteurs (des théories différentes circulent à ce propos) ont été rattrapé par l’adaptation en série mais je crois surtout que ça marche très bien parce qu’il y a une multitude de personnages. Ils sont autant de portes d’entrée différentes d’identification. Le spectateur peut même s’identifier à plusieurs personnages en même temps pour des raisons différentes.
Et puis, Game of Thrones aborde des sujets universels : la transmission, l’héritage, la reconnaissance de la part de sa famille, de qui on est, où on va. C’est un échiquier facile à appréhender, autour de jeux de pouvoir, d’alliances. Les familles sont ensemble ou les unes contre les autres. La série comporte énormément de gammes de personnages, les gens flirtent, se trahissent, ils s’entretuent, ils se violent, ils se vengent, etc.
À qui s’adresse votre atelier Approche de l’écriture de séries télé ?
ID : Mon stage s’adresse à toutes personnes désirant découvrir les spécificités de l’écriture de série TV.
On peut y participer parce qu’on est un fan et qu’on aimerait passer de l’autre côté de l’écran, pour poser les premières bases de son propre projet.
On peut aussi y participer pour découvrir ce qu’est la série et comment ça s’écrit. Même si on est un parfait néophyte en matière d’écriture et de visionnage ! Je vais faire en sorte de rendre les clefs d’écriture les plus accessibles possibles. Et j’ai prévu d’émailler les séances d’extraits provenant de séries très différentes les unes des autres pour allier le plaisir de créer à celui de la découverte.
Quant à ceux qui écrivent déjà, ces 5 jours leur permettront également d’enrichir leur pratique en glanant des techniques supplémentaires spécifiques à l’écriture de série et éventuellement exportables dans d’autres champs, en apprenant par exemple à élaborer l’arche narrative d’un personnage ou en révisant les fondamentaux de la dramaturgie.
Iris Ducorps animera le stage Approche de l’écriture de séries télé, du Paris : du lundi 18 novembre 2019 au vendredi 22 novembre 2019 à Paris. En savoir plus.
Propos recueillis par Nathalie Hegron