Parmi les nombreux textes reçus, nous avons eu du mal à en sélectionner 10, tant nous avons été touchés par leur beauté, comme un souffle vers l’auteur à qui le texte était adressé. En attendant notre prochaine proposition d’écriture début janvier, voici donc notre sélection !
Nous vous remercions pour la générosité de votre participation et le plaisir renouvelé de vous lire tout au long de l’année !
Patrick Gilormini
Lettre à Anna de Noailles
En Mai de retour de Sicile vous m’aviez écrit face au soir paresseux du Léman[1]
« Au loin les voiliers las ont l’air de tourterelles,
Qui, dans ce paradis liquide et sommeillant,
Renonçant à l’éther, laisse flotter leurs ailes
Et gisent, transpercées par le flot scintillant. »
Ce matin de décembre je vous ai retrouvée sur le granit du quai gelé.
Vous observiez de tumultueux nuages enchainés aux crêtes.
Le rouge fanal du port tremblait dans l’eau grise.
L’air froid fendait votre visage si loin des nuits d’été.
Votre regard rivé sur les coteaux neigeux du pays de Lavaux,
Cherchait à entrevoir un rayon de soleil, un havre de douceur.
Tirés hors d’eau, les voiliers montraient leurs quilles nues.
Les harles aux plumes délavées flottaient lentement et sans but.
Les épaules du clocher délaissé étaient couvertes d’albâtre oriental.
Teinté de sombre argent, un cèdre contourné vous offrait sa grandeur isolée et funèbre.
Dans un souffle muet vous m’avez demandé d’être encore reçue chez les vivants.
Sans voix, vous avez embrassé ma main avec votre cœur priant.
Votre regard toujours empli, toujours communiquant s’approchait de moi en si bonne amitié,
Que je vous ai offert un sourire traversé d’une humble gravité.
Vous attristiez vous d’un long jour solitaire ?
Reprochiez vous au sort son indigent éclat ?
Déjà pour vous tout commençait à se taire,
Puisqu’il faudra, pourtant, être un mort dans la terre,
Votre détresse avait besoin de l’immense étendue.
Je ne puis l’expliquer mais votre effort suprême,
Offrait au lac d’acier l’éclat du paradis.
P.G.
[1] Comtesse de Noailles, « Les Rives romanesques », Les Vivants et les Morts, Arthème Fayard, Paris, 1913 (p.208)
Laurent Delesgues
Rencontre glaciale
Quand je cherchais à vérifier mes rêves
Vous m’écriviez : « Demandez-leur plutôt
que dans leurs purs moments il vous
maintiennent dans l’éveil. »
Vous étiez assise sur ce banc face au vent
Les cheveux coiffés d’un bonnet blanc
Des mitaines laissaient entrevoir votre plume
Dissimulé derrière la brume…
Vous étiez dans vos pensées littéraires
A l’état encore embryonnaire…
Votre regard porté vers le port rempli de brumaille
Je m’approche prêt à briser ces années de muraille
L’obscurité commençait à tomber
Le froid continuait de s’intensifier
Votre longue chevelure chevalière
Brillaient sans lumière…
Nos regards se croisèrent
Dans ce paysage lunaire
Mes mots restèrent calfeutrés
Non pas à cause de ma bouche gelée
Mais par mon émotion et mon embarras
Camilla, Erica…je ne sais plus , je ne sais pas…
Sans rien dire, vous vous décalez
Une invitation déguisée…
Vous me laissez lire
Par dessus votre épaule, sans rien trahir
Des griffonnages, des raturages,
Les prémices d’un nouvel ouvrage
Des balbutiements, de nouveaux personnages
Une nouvelle histoire, de nouvelles pages…
Je lis et relis vos écritures
Que j’admire telles des dorures
De ce moment, je ne prends pas la mesure
Des idées de titres je présume
Peur que je vous importune
Je sors toutefois ma plume
D’une main… hésitant
J’ose écrire…tremblant
Vous me regardez en souriant
Puis nos regards se portent vers l’horizon hivernal
Une aurore boréale
Un spectacle phénoménal
Je quitte alors Fajällbacka et son ponton glacé
Le coeur et l’esprit enivré
Je savoure ce privilège
Rempli d’audace
Vous êtes non pas ma reine des neiges
Mais ma « princesse des glaces »…
L.D.
Marie-Christine de Murcia
Lettre à Paul Eluard
Lorsque j’eus l’âge d’aimer
Tu me prêtas tes mots,
Moi qui balbutiais mes premiers baisers
Dans le grand silence des lèvres.
Le choc des corps avait annihilé toute parole.
Je ne pouvais nommer le mouvement de mon cœur
Affolé par cet autre qui effaçait jusqu’à mon image.
Tu murmuras alors sur la page :
« Il fallait bien qu’un visage
Réponde à tous les noms du monde »
Et je compris l’illimité de mon désir.
Je me revêtis, moi l’amoureuse muette
De l’habit trop grand de tes vers,
Afin d’abriter la nudité de mon langage.
Il fallut beaucoup de joies et de défaites
Pour que l’amour en moi grandisse
A la dimension de ton poème.
M-C. d M.
Paul Éluard, L’amour la poésie
Christophe N.
Jean l’artisan
Quand je cherchais à vérifier mes rêves
Vous m’écriviez : « Demandez-leur plutôt
que dans leurs purs moments ils vous
maintiennent dans l’éveil. »
En dissipant mes songes par la force des éclairs
De génie apprêtés d’un langage populaire
Vous avez courtisé par les moindres interstices
La sensibilité d’une reine et ses caprices
Littéraires, que vos pairs n’ont jamais su combler
A coup d’œuvres primées et de super héros,
En marge des courants, des écrits vains ratés
Rien ne m’a plus troublé que votre boléro.
Votre mine réjouie par sa prose cisaillée
Les amoureux du verbe que votre plume esquisse,
Sur mes lèvres un sourire et soudain je m’en vais
De Tausk ou de Bourgeaux devenir la complice.
Aquarelles d’artisan vos récits sont images
Aux couleurs d’un temps croqué sur quelques pages,
Des fictions insolites vous êtes le virtuose
Pour mon plus grand plaisir, merci monsieur Échenoz.
C.N.
M. Berthelot
« Tu n’écris que pour faire un peu de bruit
Pour entendre passer ta vie »
Au petit jour je vous écoute
Vous, moi, avons les oreilles d’un miel amer , un peu sensible.
Le coeur fieleux
Entendre passer la vie, dites?
Dérivantes pensées sur une eau en gerbe d’écume,
Mouvantes et vacillantes.
Comprenez qu’elles soient secouées!
Ce qui se révèle à nous mêmes est-ce imperceptiblement ce mouvement là de la vie ?
Et si …
Sachez le aussi,
Je voulais n’écrire que pour voir.
Quand le lavis d’encre noire de la nuit s’éclaircit insolemment,
Mes yeux se posent sur des formes inconnues à mon existence.
Voir passer ma vie.
« Tu n’écris que pour faire un peu de bruit
Pour entendre passer ta vie ». Extrait de « Ce lieu que les pierres regardent » J.L. Giovannoni
M.B.
Arsène Achar
L’odyssée
J’aurais voulu comme Homère
En quelques mots
Résister aux millénaires
M’infliger leur fardeau
Tracer d’un souvenir égal
Des contrées vastes comme le Sénégal
Triompher d’impressionnants combats
A faire pâlir la Guerre de Troie
Mais j’erre sur cette Terre, Ooh sans talent
Sans adversaire, perdant
Pauvre Achille
Victime d’une terrible odyssée
Vivre sans nulle part ou voguer
Ulysse sans île
A.A.
Cécile Quiniou
Lettre à Jean Giono (Que ma joie demeure)
Quand aux jours sombres, je guettais
qu’au creux des livres je cherchais
vous m’avez doucement susurré
de garder en forme de talisman
la joie qui vit au fond de moi
Jean
vous m’avez dit, malgré la peur
qu’au fond de moi la joie demeure
Et pour ce faire de convoquer
aussi souvent que nécessaire
des nuits dites extraordinaires
Jean
de celles décrites à Manosque
dans votre mas en solitaire
celles qui convoquent les vivants
et leur révèlent des mystères
qui s’évaporent de la terre
Jean
Vous avez ajouté pour qui se lève la nuit
sans se soucier des endormis
et va labourer entre les amandiers
le ciel offre des bouquets d’étoiles
éclatant comme l’herbe en touffes
Jean
Vous avez vécu ces nuits là
faites pour ceux qui ne dorment pas
témoin solitaire d’un ciel qui pour vous
est descendu jusqu’à la terre
racler les plaines et fouetter les montagnes
Jean
Vous avez écrit qu’il faut
malgré le froid des nuits d’hiver
dé-serrer les loquets, ouvrir les portes
enfoncer ses pas dans une terre lourde
sans jamais cesser de croire qu’il viendra
Jean
je ne savais pas à ce moment là
de qui vous parliez
ni ce que vous attendiez de lui
mais moi je me suis accrochée
à l’espoir des mots que vous semiez
Jean
Juste pour moi
pour que ma ma joie demeure
le dos à la forêt à regarder pousser
tout ce qui se pourra
éclairé par la lune
Près de vous, Jean
C.Q.
Valérie Pascal
À Christophe de Ponfilly
À l’âge où bouillonnent les rêves je crevais d’ennui.
J’errais dans la campagne sans faire de bruit, je buvais l’eau insipide.
Un soir de septembre vous m’apostrophez.
Ce fut comme une connivence.
Une respiration.
La paume d’une main que l’on passe sur un visage fermé,
Les yeux qui frissonnent et se dessillent, les paupières qui s’ouvrent.
Au loin,
Le Panjshir.
Votre profil. Un livre. Une caméra.
Je lus Kessel et découvris la Perse.
Je buvais du thé russe, vous cherchiez Nicolas.
Je marchais à vos côtés, clandestine en ce pays minéral.
Vous accordiez votre pas sur le pas des soldats.
Je rythmais mon souffle, j’oubliais la guerre,
« sa cohorte de folies et de misère, de lâchetés et d’héroïsmes,
et cette urgence à vivre à laquelle elle contraint les hommes ».
Vous aimiez ces contrées, ses peuples, ses femmes ses vallées,
Les torrents crachant l’eau de saphir les montagnes enneigées,
Et puis vous l’aimiez,
Lui.
Le Lion.
Le soir à la lueur des lampes, vous vous penchiez sur les cartes.
Je me penchais sur vous.
Je suivais du doigt les tracés, je relevais les dénivelés.
Au loin,
Le Panjshir.
Votre profil,
Une caméra,
Mais pardonnez-moi,
« De vous je ne connais que vos livres ».
V.P.
Marie-Pierre Chaduc
L’or des collines
Je me souviens du cri des martinets dans le ciel vert,
De l’accord à peine esquissé de la terre et du pied,
De la caresse furtive d’une main,
De la ligne des collines romaines dans le lointain,
Je me souviens encore de l’envol des martinets sous un ciel d’orage,
Ondoyant sous le vent du vert au gris,
De l’éclat factice de nos rires insouciants,
De l’abandon lascif et lent d’une chair à l’autre,
De la ligne douce de nos corps endormis dans la pénombre,
Je cheminerai tranquille
Sur les chemins noyés d’ombre de ma mémoire
Dans une odeur de fumée d’arbres et d’eaux
Sous les lentisques, les oliviers, les arbrisseaux,
Porté par le chant des cigales,
En cet instant où l’or du monde bascule
Je dénouerai mes sandales,
Et marcherai le cœur léger
La chemise ouverte
Dans la moiteur du soir
Sur une terre féconde
Qui gronde et roule sous mes pas
Je n’oublierai rien
Me souviendrai de tout … mais ne saurai rien
Et partirai plume sur l’aile du temps
Vers la douceur ocrée des collines
M-P. C.
Martine Guillot
Lettre à Léonor De Récondo
Vous êtes celle qui avance
Violon dans une main
Crayon dans l’autre
Bousculant les frontières
D’un monde de convenances.
Vous êtes celle qui m’interpelle
Amours en bannière
Résonance d’âme
Accrochant un bémol
Au fronton de mes certitudes.
Femme libérée des limites, des apparences
Disciple affidée des notes, des portées.
Vous êtes celle qui invite
Musique au corps
Parole glissée sous l’archet
Improvisant aux chemins interdits
Vos rêves oubliés.
Vous êtes
De mes lectures
Un point cardinal.
M.G.