Jusqu’au 13 décembre 2023, nous ouvrons L’Inventoire à un public anglophone dans le cadre de notre partenariat avec l’EACWP (European Association of Writing Programmes) par une proposition d’écriture en anglais et en français. Celle-ci est publiée en anglais ici et proposée dans les autres écoles d’écriture européennes. Même si votre langue maternelle est le français, vous avez le choix entre les deux langues. Faites vos jeux : français ou anglais ?
Autofiction, roman autobiographique, pure fiction ? Quelle est votre pente ? Alain André vous suggère d’écrire à partir d’un passage du texte publié par Pauline Delabroy-Allard, Qui sait (Gallimard, 2022). Dans cette proposition d’écriture, vous passerez du « on » au « je » pour découvrir ce que cela change !
Vous pouvez poster vos textes (1500 à 2000 signes maximum) sur Teams Inventoire jusqu’au 13 décembre 2023.
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L’auteur et son œuvre
Pauline Delabroy-Allard a déjà fait paraître un très beau premier texte, Ça raconte Sarah (Minuit, 2018, et Minuit-poche).
Elle avait 30 ans en 2018. Fille d’un enseignant, qui a publié deux récits autobiographiques chez Verticales, elle est elle-même documentaliste dans un lycée de la banlieue parisienne. Elle écrit de la poésie depuis longtemps, a tenu pendant des années un blog littéraire dans lequel elle publiait de courts textes, des récits très personnels, de vie, d’autofiction, toujours accompagnés de photographies, et parfois de morceaux de musique et de petits films.
En 2018, paniquée à l’approche de l’âge canonique de trente ans, elle décide « de faire quelque chose de fort. » Elle ressort le manuscrit, en photocopie vingt exemplaires et écrit à 20 éditeurs. Trois l’appelent, dont Irène Lindon qui dirige les Éditions de Minuit. Ça raconte Sarah est le récit d’une passion. Sa lecture peut rappeler Passion simple, d’Annie Ernaux, ou Immersion, de Paul Nizon, qui sont aussi des récits de passion fatale. Le roman a reçu plusieurs prix et a été traduit dans une dizaine de langues. Elle a également publié un album jeunesse, Avec toi (Thierry Magnier, 2019), inspiré de sa vie avec sa fille. Et un second roman, chez Gallimard cette fois, intitulé Qui sait – sans point d’interrogation.
Le roman
De quoi s’agit-il ? La quatrième de couverture propose un argument :
« Avant d’être enceinte, Pauline ne s’était jamais posé la question de ses origines. Et puis cela devient crucial. Elle sonde alors le sens des mystérieux prénoms secondaires qui figurent sur sa carte d’identité : Jeanne, Jérôme, Ysé. Fantaisie et drame, fantasme et réalité se mêlent dans ce récit envoûtant, qui nous conduit tour à tour sur les traces d’une aïeule aliénée, d’un ami de la famille disparu et d’une héroïne de fiction. Avec Qui sait, Pauline Delabroy-Allard signe un deuxième roman virtuose, ode à la toute-puissance de l’imagination et de la littérature. »
Le premier chapitre s’ouvre sur la scène annoncée sur la quatrième de couverture. La narratrice va se faire faire sa première carte d’identité, troublée par le fait qu’elle a vécu trente années sans en avoir. D’ailleurs, même l’employé s’en étonne, avant de récupérer les deux photos conformes aux normes, le justif de domicile et l’extrait de naissance de moins de trois mois, original plus photocopie ; et elle-même récupère son récépissé, dont elle aura besoin pour récupérer sa carte toute neuve. Lorsqu’elle le fait, elle s’étonne des trois prénoms qui sont les siens, Pauline, mais aussi Jeanne, Jérôme, Ysé. « Non mais qui c’est, les autres ? Qui c’est ? »
Extrait
On peut évidemment partir des prénoms qu’on porte. Les noter, puis écrire à partir de chacun d’eux, en se posant quelques questions : ce qu’ils disent, indiquent, ce à quoi ils vous font penser ; ce que vous savez, ou pas, de la façon dont ils ont été choisis ; ce qu’on vous a dit, ou pas, de ce choix ; ce que vous en pensez ; et à qui vous auriez envie d’adresser ces réflexions. Mais l’extrait choisi pour cette proposition suit le commentaire de la narratrice après cette redécouverte de ses prénoms secondaires. Voici le commentaire :
« Depuis mes dix-sept ans, j’ai souvent pensé à eux, je me suis demandé de nombreuses fois quelles étaient leurs origines. Les femmes, d’abord. Jeanne. D’où pouvait bien me venir ce prénom, le féminin du prénom de mon père ? Et puis Ysé. Un prénom jamais entendu ni vu ailleurs. Et enfin ce prénom d’homme. Jérôme. Pourquoi donner un prénom d’homme à un bébé fille, quelle drôle d’idée ! Dans ma famille, on ne parle pas. Enfin si, on se raconte des tas de choses et on adore ça, tant qu’on ne parle pas du passé, des passés. Le passé de notre père n’est jamais évoqué. Celui de notre mère, encore moins. Leur passé commun, avant nos naissances, ce n’est même pas la peine d’y penser. On évite de poser des questions, même s’il arrive qu’on obtienne des réponses. Mais la plupart du temps, il s’agit de botter en touche, de rire pour planquer une vérité, de faire un écart, de répondre autre chose, des sornettes, des inventions. »
Cet énigmatique « Dans ma famille, on… » génère la page suivante, assez différente, presque un poème, écoutez la musique :
« On n’a pas la télévision. On n’a pas de vêtements neufs. On ne mange pas de pâte à tartiner le matin. On ne mange pas de bonbons. On ne franchit pas les frontières des pays où nous sommes nés. On ne parle pas du passé de nos parents. On ne pose pas de questions. On fait nos devoirs. On prend nos douches. On termine nos assiettes. On se lave les dents. On va se coucher. On chuchote dans le noir. On va au conservatoire. On va au musée. On va au théâtre. On reçoit des livres emballés dans du papier cadeau. On écoute la radio. On n’écoute pas de chansons populaires. On ne sait pas qui est Johnny Halliday. On ne sait pas qui est Michel Platini. On ne pose pas de questions. On ne demande pas qui est Johnny Halliday. On ne demande pas qui est Michel Platini. On ne demande pas qui sont nos parents. On va au cinéma. On va à la Samaritaine. On pique des Craven A dans le tiroir du bureau en bois. On va à la bibliothèque. On va au solfège. On ne regarde pas de photo. On ne sait pas qui est Leonardo DiCaprio. On ne sait pas qui sont les Spice Girls. On ne demande pas qui sont les Spice Girls. On ne demande pas qui est Leonardo DiCaprio. On pleure à la mort de François Mitterrand. On a des baby-sitters. On ne les aime pas. On ne leur pose pas de questions. On prend nos douches. On met nos chaussons. On travaille nos instruments de musique. On va à la piscine le samedi matin. On mange des rougets achetés le dimanche matin au marché. On se promène le dimanche après-midi. On ne parle pas de comment c’était avant. On ne pose pas de questions. On ne demande rien. Je ne demande rien. Je grandis dans le blanc. J’invente les réponses. Dans ma langue maternelle. »
Soit une liste d’une cinquantaine de constats. Le on est parfois familial, incluant les parents (« On n’a pas la télévision »). Il renvoie parfois plutôt à une fratrie (« On fait nos devoirs », ou « On pique des Craven A dans le tiroir du bureau en bois »). Et il finit par se changer en Je : trois phrases aussi brèves que les autres, commençant par Je, plus une précision en phrase nominale : « Dans ma langue maternelle ».
Proposition d’écriture
Je vous propose de croiser vous aussi ce que vous venez peut-être d’écrire sur vos propres prénoms, avec une liste de ce genre, dans laquelle le « on » peut porter sur la famille, élargie même si ce n’est pas le cas pour Pauline Delabroy-Allard, ou nucléaire, ou sur la fratrie ; et dans laquelle un autre pronom personnel peut faire irruption, à la manière du « Je » de Pauline, mais ce peut être aussi bien un tu, un il ou un elle…
C’est une écriture accumulative. Comme une liste, mais assez rédigée pour qu’on ait des phrases (et les vôtres peuvent à l’occasion être plus longues que celles de Pauline Delabroy-Allard). Une litanie. Voyez où ça vous mène : ce que ça fait émerger, encore une fois. Et envoyez-nous le résultat (1500 à 2000 signes max !)
Mon point de vue
Je me suis intéressé au fait que le premier roman de Pauline Delabroy-Allard a été publié sans mention de genre, alors que le second, qui se présente encore plus nettement que le premier comme une autofiction, l’a été accompagné de la mention « roman ». Reste que les genres sont souvent davantage des moyens de classification empiriques que des essences platoniciennes. Quand j’ai lu chacun de ces textes, j’ai été sensible à un univers, à des thèmes (la passion, les noms qu’on porte) et plus encore à une écriture, nerveuse, précise, parfois violente parfois délicate. Le recours à une phrase accumulative et à la litanie en est simplement l’une des caractéristiques. La litanie notamment, en dépit de sa longue histoire depuis la Bible, semble une forme émergente tout à fait caractéristique du roman contemporain.
Alain André
Alain André a pris l’initiative de créer Aleph-Écriture en 1985. Auteur de romans, de fictions brèves et d’essais, il conduit aujourd’hui des ateliers d’écriture à La Rochelle.
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