Cette semaine, Hélène Massip vous propose d’écrire à partir de Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese (2015, Zoé 2016 et « 10/18 », 2017, pour la traduction française). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1 500 signes maxi) jusqu’au 2 mai à l’adresse: atelierouvert@inventoire.com
Extrait
« Il aperçut la lune entre les lattes de l’écurie quand il se réveilla. C’était le petit matin et elle avait amorcé sa descente, mais elle était suspendue dans le ciel comme un glacier déversant sa lumière avec l’éclat de la glace fondante. Il y avait des ombres partout. Il faisait assez jour pour qu’il puisse trouver son chemin jusqu’à la porte du fond dans la vieille écurie ; il se leva et marcha jusque-là pour fumer. Il y avait des coyotes dans le champ. Il voyait leur silhouette lustrée trotter et sauter près de la clôture. Six en tout. A s’ébattre. À célébrer le clair de lune. Depuis l’endroit où il se tenait, appuyé à la moitié inférieure de la porte, il apercevait le souffle de leur respiration – des nuages brouillant l’air du petit matin puis se dissipant tandis qu’ils se poursuivaient – le garçon pensa au brouillard et à sa façon d’ensevelir la campagne dans l’humidité givrée du printemps et de l’automne, à la balafre d’une crête ou d’un escarpement ou d’une montagne derrière lui aussi soudaine qu’un ours. Ils faisaient des pirouettes, se mettaient à courir et de temps à autre, ils glapissaient, d’un coup ils s’arrêtèrent et le regardèrent. Il encercla la cigarette dans sa main, tourna le poignet de sorte que la partie incandescente pointe derrière lui. Ils attendaient. Silencieux. Aussi calmes que l’air autour d’eux. Dans la lumière phosphorescente de la lune, il crut discerner leurs yeux, se dilatant, le scrutant avec une intensité porteuse de cet ancien éclat du monde sauvage, l’évaluant et le jugeant à cette distance imprécise. Ils baissèrent la tête, les museaux près du sol, et l’observèrent. Ensuite, ils se mirent à danser, du moins c’est ainsi qu’il le perçut. L’un après l’autre, ils se mirent à décrire des arabesques, d’avant en arrière, se croisant, à la queue leu leu, d’abord au pas, puis en trottinant jusqu’à ce que l’un d’eux mordille la queue d’un autre et qu’ils explosent en un délire ludique, insouciant, en une joie si soudaine et pure que le garçon sourit et se pencha davantage sur la porte pour observer ce manège. Puis le plus gros d’entre eux interrompit cette cavalcade, se figea nez en l’air, fit volte-face et bondit en direction des arbres. Les autres suivirent en formant une ligne sombre. Ils se volatilisèrent au milieu des arbres, s’évanouirent en un clin d’œil comme si les bois s’étaient refermés sur eux, avaient formé un cocon, une chrysalide imperméable, parfaite, tissée des fibres du temps, et le garçon se demanda quelle forme ils prendraient quand ils ressortiraient dans les clairières au clair de lune. »
Proposition d’écriture
Cet « ancien éclat du monde sauvage », je suis sûre de l’avoir croisé. J’ai eu à la lecture une sensation immédiate, vive et réjouissante.
Je vous invite à vous souvenir de moments où vous avez observé un animal ou plusieurs animaux. Lors d’une promenade, une randonnée, dans un zoo, dans un bois. Un animal sauvage ou un animal de compagnie. Un animal très commun ou un oiseau rare. Un animal très petit (une sauterelle, une truite, une grenouille) ou bien plus grand que vous.
Retrouvez un moment où quelque chose vous a saisi. Le volume imposant d’un éléphant, même s’il ne faisait que se dandiner sur place et qu’une fosse doublée d’un garde-corps vous séparait de lui. Le vol d’un oiseau à large envergure. La puissance des pattes d’une lionne au repos. Ou deux écureuils se poursuivant autour du tronc d’un arbre.
Raconter, donner à voir cette scène. Faites sentir ce moment où quelque chose du « monde sauvage » se rappelle à l’observateur.
Lecture
Richard Wagamese, (1955–2017) est l’un des principaux écrivains amérindiens du Canada (Ontario). Il a exercé comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision. Il est l’auteur de treize livres publiés en anglais par les principaux éditeurs du Canada anglophone. Deux de ses romans sont à ce jour traduits en français.
Dans Les étoiles s’éteignent à l’aube, le père et le fils sont des étrangers l’un pour l’autre. L’enfant a été élevé par un vieil homme qui lui a transmis son savoir : vivre au cœur de la nature, travailler à la ferme. Le père, quant à lui, de mauvais job en mauvais job, alcoolique, s’est coupé de ce mode d’existence, de tout ce qui le reliait à la façon de vivre du peuple indien dont il est issu. Pourtant, au moment de mourir, malade et très affaibli, il demande à son fils de l’amener dans un lieu de montagne éloigné, qui nécessitera un voyage de plusieurs jours, et où il souhaite vivre ses derniers instants avant d’être enterré à la façon des anciens guerriers ojibwés. Le voyage sera le moment où se dévoileront des secrets, où le fils nourrira, protègera, accompagnera le père, où l’histoire de la mère sera dévoilée, et leurs vies inscrites dans l’Histoire de leur pays et de guerres éloignées (Deuxième guerre mondiale, guerre de Corée).
Tout au long du roman, les dialogues éclairent peu à peu ces êtres à la parole rare. Les gestes du travail, à la ferme ou pendant le voyage, sont précis, les paysages sauvages de la Colombie Britannique fascinants.
Une belle place est faite aux histoires, celles que l’on raconte, celles qui « aident à apaiser».
H.M.
Hélène Massip est auteur de nouvelles, de poèmes et de haïkus. Retrouvez ses prochaines formations généraled à l’écriture littéraire module 3 – soirées, à partir du 24 avril à Lyon ici.
Dernière publication : L’affiloir des silences , « Poésie XXI », Jacques André Editeur, 2016.