Cette semaine, Béatrice Limon vous propose d’écrire et de peindre à petites touches le portrait d’un personnage, à partir de La Ligne de nage, de Julie Otsuka (Gallimard, Du Monde entier, 2022. Traduction de l’anglais par Carine Chichereau).
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Vous pouvez poster vos textes (1500 signes maximum) sur Teams Inventoire jusqu’au 7 mars 2023 (en format Word uniquement, interligne 1,5, caractère 12).
Julie Otsuka
D’abord peintre, Julie Otsuka a commencé à écrire à l’âge de 30 ans et, sans avoir vraiment prévu de traiter ces sujets, elle a plongé dans ses racines familiales. Elle l’explique dans un entretien très intéressant, en anglais sous-titré, donné le 21 février 2020 à la Maison de la culture du Japon à Paris (visible sur YouTube).
Son premier livre, Quand l’Empereur était un dieu (Phebus, 2004), retrace l’internement, dans des camps américains, de ressortissants japonais installés aux États-Unis après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941. C’est l’histoire de sa famille, entre autres.
Elle a pris huit ans pour écrire son deuxième roman : c’est dire si la langue est travaillée. On y découvre ces femmes japonaises choisies sur photo, au début du XXe siècle, pour aller en Californie épouser des Américains. Certaines n’avaient jamais vu la mer est un livre à la première personne du pluriel, dans lequel les japonaises sont confrontées à la violence du déracinement, après une traversée déjà éprouvante. Le livre a reçu le Prix Femina étranger en 2012.
« J’écris pour fendre le cœur des lecteurs » Julie Otsuka
Le livre
La Ligne de nage est un livre sur la mémoire, celle que l’on garde, celle que l’on perd, et sur la façon dont la permanence ou la dissolution des souvenirs influence notre relation au monde.
Le sujet est, à première vue, douloureux : une fille tente de renouer avec sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Mais ce n’est pas dans cette direction que je vous emmène cette semaine, même si la mélancolie est une émotion très assumée : « J’écris pour fendre le cœur des lecteurs », répond Julie Otsuka au Monde, dans un entretien publié le 2 octobre dernier.
Extraits de la troisième partie, Diem perdidi :
Elle se rappelle le jour de ta naissance. La petite fille qu’elle a eue avant toi – Elle avait le nez de ton père, c’est la première chose que j’ai remarquée chez elle – mais elle ne se souvient pas de son nom.
Elle se souvient que sa mère lui a dit plus d’une fois : Ne laisse jamais personne te voir pleurer.
Elle se souvient des kakis desséchés qui autrefois pendaient le long des corniches de la maison de sa mère à Berkeley. Ils étaient d’un orange extraordinaire. Elle se souvient que ton père aime les pêches. Que tous les dimanches matin, à dix heures, il l’emmène faire un tour en bord de mer dans la voiture marron.
Elle se rappelle que sa mère est morte il y a quatre ans, en regardant les oiseaux par la fenêtre, et qu’elle lui manque de plus en plus chaque jour.
Elle se souvient du numéro attribué par le gouvernement à sa famille au début de la guerre. 13 611. Qu’elle a été envoyée dans le désert avec sa mère et son frère au cours du cinquième mois de la guerre, et qu’elle a pris le train pour la première fois.
Quand tu viens la voir, jamais elle n’oublie de te serrer fort contre elle, et sa vigueur te surprend toujours.
Quand elle passe en voiture près du club de natation, elle se souvient du jour où le surveillant de baignade l’a jetée dehors, au bout de trente-cinq ans.
Elle se souvient que quand ton père lui faisait la cour, il était toujours ponctuel. Elle se souvient d’avoir pensé qu’il avait un joli sourire.
Elle se souvient qu’après la naissance et la mort de sa première fille, elle restait assise dans le jardin des jours entiers, à regarder les roses près de l’étang.
Elle n’oublie pas de te lire ton horoscope dans le journal chaque fois que tu viens la voir.
Elle se souvient d’avoir essayé de t’apprendre à lire avant que tu ne sois prête. De t’avoir emmenée chez Newberry pour choisir du tissu et un patron afin de t’enseigner la couture.
Elle sait encore jouer la Sonate au clair de lune au piano. Elle n’oublie pas de remettre du rouge à lèvres dès qu’elle sort de la maison. Le matin, à son réveil, elle se souvient de ses rêves.
Proposition d’écriture
Voyez comme ces fragments juxtaposés finissent par dessiner un vrai personnage. Il y en a de futiles, comme le rouge à lèvres, de tragiques, comme l’internement pendant la guerre, de nostalgique, comme le joli sourire du père, de bizarres, comme l’éviction du club de natation.
Cette technique, Roland Barthes l’a théorisée sous le nom de « biographèmes », c’est-à-dire un ensemble de fragments qui ne disent pas tout d’une vie mais qui rendent compte de quelques détails ou grands événements, anecdotes, manies et goûts d’un personnage…
Comme des souvenirs qui remontent à la surface quand tout le reste est englouti.
C’est de cette technique que je vous propose de vous saisir pour dessiner, à votre tour, le personnage de votre choix. Fictif ou inspiré du réel, comme il vous plaira, ou un peu des deux…
Vous parlerez de lui à la troisième personne ; si la formule « il-elle se souvient, se rappelle » vous aide, utilisez-la, sans vous y sentir obligé. La narratrice apparaît discrètement derrière le « tu » auquel s’adresse Julie Otsuka : là aussi, vous pouvez choisir ou non d’emprunter ce chemin.
À quoi ressemble ce personnage ? Quels sont ses goûts, ses habitudes, ses lieux, ses proches, ses gestes, les décors dans lesquels il évolue, les vêtements qu’il aime porter ? Donnez-le à voir, sans vous soucier de la chronologie. Vous relaterez ainsi, à traits ténus, des événements minuscules et majuscules.
Béatrice Limon
Journaliste et formatrice en presse quotidienne régionale pendant vingt-cinq ans, Béatrice Limon a choisi de concilier sa passion de l’écriture et son désir de transmettre en animant des ateliers créatifs et littéraires.
Elle animera le stage : « Ouvrir l’enquête » du 2 mars au 11 mai 2023.