Cette semaine, Laure Naimski vous propose d’écrire à partir de Je voudrais que la nuit me prenne d’Isabelle Desesquelles (Belfond, 2018). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 3 décembre à l’adresse suivante : atelierouvert@inventoire.com
La version de votre texte doit être envoyée sous Word ou équivalent – nous n’acceptons pas de fichier PDF- en indiquant en haut votre nom.
Extrait
« L’école est à trois kilomètres de notre maison, on y va par un chemin que nous étions les seuls à prendre ; nos marches tous les deux, matin et soir, parfois l’un derrière l’autre dans les sentes les plus étroites, elles sont au-delà de la mémoire, parce que c’est arrivé, un père et sa fille, chacun avec son cartable et nos mains qui se cherchaient, se retenaient, la pression de la sienne enserrant la mienne, comme nous y puisions une douceur. Que se passe-t-il dans la tête d’un enfant quand il soupçonne que le meilleur ne va pas durer, qu’il n’est pas garanti, le bonheur ? Grâce à ses parents, à leur offrande d’amour, l’enfant ne voudra pas le croire, il balaiera son soupçon dans un câlin de sa mère, un rire de son père, et l’enchantement permanent de l’enfance, il le croira résolument. La protection de ses parents lui donnera le sentiment de l’invincible bonheur. Et on s’y arrime.
Tout ce que l’on se sera raconté au cours de nos trajets silencieux, sans un mot et pleins du son des saisons, jusqu’à celui des flocons sur le point de tomber. Après venait l’allégresse des oiseaux de retour, puis l’estive, où ça beugle, les feuilles que l’on déchire, les foins qui se font, le bois tronçonné, le tambour de la pluie sur les flaques.
L’hiver, ses lumières insensées d’aubes pures et rosissantes, et au retour, précisément à cette heure entre chien et loup, des torches dans le couchant et de plisser les yeux l’horizon s’irise. »
Proposition d’écriture
Je propose de raconter un trajet qui va mener un personnage de chez lui à l’école. Vous pouvez débuter par le lever du personnage ou par le trajet lui-même. Il peut aboutir ou ne pas aboutir à l’école, prendre des sentiers de traverse, voire s’engager résolument vers l’école buissonnière. Cela peut être un trajet réel ou imaginaire, habituel ou exceptionnel, puisé dans vos souvenirs ou bien inventé, mais plutôt à la première personne. En vous inspirant d’Isabelle Desesquelles, fouillez dans les souvenirs du personnage pour donner à voir, à sentir, à ressentir, avec précision et poésie.
Lecture
Ancienne librairie devenue écrivaine, Isabelle Desesquelles a écrit une dizaine de romans et récits et des albums pour la jeunesse. Dans Je voudrais que la nuit me prenne, elle évoque de manière très originale et troublante la mort d’une enfant vue du point de vue de l’enfant, puis de la jeune femme que la petite fille serait devenue si elle avait vécu.
Dès le début du roman, le lecteur est saisi par la voix de la narratrice, une voix d’enfant qui évoque avec sensualité et poésie les premières années de sa vie, entourées de parents aimants, mère un peu fofolle, père instituteur, dans les hivers glacials et les étés torrides de l’Aubrac. Mais très vite, un voile noir se dépose sur cette enfance lumineuse. Celui du deuil. Le silence de l’absente, ses mots emplis de nostalgie, prennent le pas sur l’évocation des jours heureux. Un roman délicat sur le deuil impossible.
« La clé d’un livre est probablement toujours dans sa forme, précise la romancière. Je voulais une narration qui se joue du temps et des espaces, et je suis heureuse d’avoir réussi à être, à tous moments du roman, dans trois temporalités » (La Croix, 27 septembre 2018).
Isabelle Desesquelles a également fondé dans le Lot une résidence, « De Pure Fiction », où des écrivains viennent se consacrer à l’écriture dans un cadre idéal. Tanguy Viel, qui écrivait lors de son séjour Article 353 du code pénal, parle avec reconnaissance d’un lieu lumineux. « Tout est pense pour le confort du travail, jusque dans ses moindres détails – je me demande si Isabelle n’a pas un système secret pour attirer les chevreuils à l’aube devant la baie vitrée… Elle se trouve être à la distance parfaite : ni trop présente, ni trop absente, mais d’une extrême attention à votre rythme et à vos exigences, aussi bien celles de solitude que de socialité. En fait, elle est d’une sensibilité telle qu’elle est capable de connaître votre propre désir avant vous » (La Croix, 27 septembre 2018).
Laure Naimski est journaliste et écrivaine. Après En Kit (Belfond) en 2014, son deuxième roman La guerre en soi sera publié le 7 février 2019 chez Belfond. Elle conduit pour Aleph-Écriture plusieurs modules de la Formation générale à l’écriture littéraire.