Alain André vous a proposé d’écrire à partir du grand roman de l’écrivain catalan Jaume Cabré : Confiteor (Actes-Sud, 2013). Voici une deuxièle texte cette semaine, celui de Viviane Clement.
Une lettre
Ce n’est qu’hier soir en rentrant du bois où j’avais travaillé toute la journée que j’ai compris que je devais te parler avant que tu partes loin d’ici, loin de la terre où tu es né. Tout à coup, j’ai vu clairement que le sens de ma vie m’échappait brutalement, que mes actes avaient été vains et que la culpabilité allait m’envahir peu à peu. Pendant longtemps, j’ai cru que j’avais défié les lois des hommes et de Dieu pour toi, toi seul. Mais hier, le dos courbé sous la fatigue, la main tenue au chaud par le bois dur et lisse de la hache, j’ai senti, comme une évidence, que c’était pour moi que j’avais agi. Pendant longtemps, j’ai voulu croire aux pressions du milieu paysan où nous vivons, au poids des préjugés, aux non-dits, à l’amour ou plutôt à la possession de la terre qui, soit-disant, nous caractérisent. La terre ne se partage pas, elle s’agrandit disait toujours mon aïeul. Un seul tenant, un seul maître !!! J’ai été élevé dans cet esprit-là. Et voilà que je cherche des excuses ! Malgré la distance qui nous sépare, j’espère encore que tu comprendras. Si tu avais continué après moi à faire fructifier notre bien, peut-être que je n’aurais jamais rien dit. Mais je n’ai accepté qu’un seul fils et cette terre tu n’en veux plus. Ma route s’arrête là. Je suis vieux et je sais que le temps n’est pas loin où je saisirai une poignée de bonne terre pour la humer et la goûter une dernière fois.
Tout a commencé il y a longtemps, bien avant ta naissance, quand j’étais un jeune arrogant et que la terre n’avait pas encore noué mes muscles et cassé mon dos. Lorsque je menais les chevaux aux labours, les bras tendus sur les manches de la charrue, je voyais au loin ces terres en friches, ces collines, ces vallons et je savais déjà qu’un jour, tout cela serait à moi.
V.C.