Écrire à partir de « Fille » de Camille Laurens (sur Teams)

Pour ce second rendez-vous de L’Inventoire sur notre plateforme à distance, Céline De-Saër vous propose d’écrire cette semaine à partir de Fille de Camille Laurens (Gallimard, 2020).
Pour répondre à cette proposition d’écriture, vous pouvez déposer vos textes (1500 signes espaces inclus) sur notre plateforme jusqu’au 8 décembre !  Vous pourrez y découvrir ceux des autres participants et échanger avec eux ! Une sélection sera ensuite publiée sur l’Inventoire.

Si vous avez déjà participé au précédent atelier, vous êtes déjà connecté, sinon: Inscrivez-vous dès maintenant ici : Bulletin d’inscription sur la plateforme de l’Inventoire.

NB: Nous vous remercions d’envoyer uniquement des fichiers Word ou odt, en mentionnant sur le titre du fichier votre nom et le titre de votre texte.

Extraits

« C’est une fille. »

Ça commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir. Ta naissance ressemble à la création du monde, et il y a le ciel et il y a la terre, une parole coupe en deux l’espace, fend la foule, sépare le temps.


« Un garçon manqué ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? »

(…)

« On ne dit jamais ça, une fille manquée (…) Un garçon manqué, c’est une fille à qui il a manqué la liberté d’être un garçon. Ne pas être libre, c’est ça la souffrance d’une fille. »


« Tu sais pourquoi tu es là ? » demande le médecin.

Alice fait non de la tête.

« Ta maman s’inquiète, elle dit que tu veux être un garçon. C’est vrai ?

– Oui.

– Pourquoi ? »

Alice me regarde.

« Non, ne demande pas à ta maman. Réponds-moi, toi. Pourquoi veux-tu être un garçon ? »

Elle lève le menton, hausse les épaules jusqu’aux oreilles et les laisse retomber en soupirant.

« Parce que… moi j’ai envie, dit-elle.

– Mais oui, Alice ! s’écrie le médecin d’un ton approbateur, tu as raison : toi, tu es en vie. »

Alice éclate de rire, se lève de sa chaise, fait l’avion autour de la pièce, bras déployés.

« J’es en vie, chante-t-elle, j’es en vie », puis elle encercle mes genoux entre ses bras et les serre fort.


« Ce n’est pas un vêtement qui décide de la féminité. La robe ne fait pas la fille, vous savez. »


« Parfois, il suffit d’une phrase pour faire tomber des monuments. Donjon d’effroi, remparts de honte, la tour s’écroule dont on était à la fois la prisonnière et la geôlière, et d’un seul coup c’est plein soleil, c’en est fini des meurtrières. L’air âpre emplit les poumons, ça râpe et ça répare, et bien que la lumière soit vive, on n’est pas aveugle. Il suffit d’une phrase, à peine une phrase, un mot, un adjectif laissé en blanc dans la phrase incomplète, un petit quelque chose qui lui manquait, qui lui a tant manqué (…), et soudain le monde s’ouvre, un sens nouveau éclôt sous la langue, (…). Alors, tu n’as qu’une chose à faire et je l’ai faite : il faut prendre la phrase et la recueillir, la sauver, répéter le mot de passe, le transmettre et ne jamais l’oublier. »

Proposition d’écriture
Dans un premier temps, je vous invite à définir le mot fille à votre façon, mais tel qu’il apparaîtrait dans une entrée de dictionnaire.

Pour exemple, il est communément présenté ainsi :

« Fille, substantif féminin.

Personne du sexe féminin, considérée du point de vue de son ascendance, de son origine (le substantif masculin correspondant est fils).

Être humain de sexe féminin (le substantif masculin correspondant est garçon).

Autres emplois : nom de jeune fille, fille-mère, fille de joie, … ».

À votre tour, définissez ce mot fille. Que signifie-t-il, que représente-t-il pour vous ?

À présent, en prenant quelques notes à la volée, explorez cette phrase : « C’est une fille ».

Que fait-elle résonner en vous ? Cette annonce, ce présentatif, qu’est-ce qu’elle vous inspire, sur quoi ouvre-t-il ?

Jouez avec le champ des possibles d’une telle phrase.

En vous inspirant de ce qui est apparu précédemment, je vous propose de déployer votre écriture

en donnant à voir, à entendre, et à sentir un personnage en correspondance avec cette formule, « C’est une fille ». À l’instar de Laurence Baraqué, le personnage de Camille Laurens, situez-le dans une époque.

Comment ce personnage se définit-il ? Comment est-il défini ? Pour lui, qu’est-ce qui (a) fait ou va faire événement, à un moment donné ? Quel message est porté ?

Votre texte pourra prendre la forme d’un récit et devra comporter 1 500 signes au maximum (espaces compris).

Il pourra être empreint de réel et/ou de fiction.

Votre narration pourra être au je, au tu, au il ou au elle.

Enfin, votre texte comportera la phrase : « C’est une fille. »
Lecture
L’auteur

Camille Laurens est un auteur français. Agrégée de Lettres modernes, elle a enseigné en France, puis au Maroc où elle a passé douze ans. Certains de ses romans sont traduits dans de nombreuses langues. Elle vit maintenant à Paris.

En 2000, elle reçoit deux premiers prix : le prix Femina et le prix Renaudot des lycéens pour Dans ces bras-là (paru aux éditions P.O.L).

Parallèlement, elle poursuit un travail d’exploration ludique du lexique français à travers trois recueils : Quelques-uns (P.O.L, 1999), Le Grain des mots (P.O.L, 2003) et Tissé par mille (Gallimard, 2008).

Passionnée par l’art, elle a, entre autres, collaboré avec le photographe Rémi Vinet pour Cet absent-là (Léo Scheer, 2004), ou encore avec le compositeur de musique électro-acoustique Philippe Mion. Elle publie, en 2013, un essai consacré à la répétition dans nos vies et dans les arts : Encore et jamais. Variations (Gallimard). En 2019, Celle que vous croyez (Gallimard, 2016) est adapté au cinéma par Safy Nebbou.

En février 2020, elle entre à l’Académie Goncourt.

Le livre

La maison d’édition présente ainsi Fille, roman en trois parties : Laurence Barraqué est née en 1959 dans une famille de la petite bourgeoisie de Rouen. Son père est médecin et sa mère, mère au foyer. Très tôt elle comprend, à travers le langage et l’éducation, que la position des filles est inférieure à celles des garçons. « Garce. Le mot revient et la hante. C’est une injure. Mais n’est-ce pas d’abord le féminin de garçon ? ».

La place de la femme dans la société est un sujet générationnel et d’actualité, parallèle à l’évolution des mentalités.

Fille est un parcours d’apprentissages, contraint : d’une fille enfant – abusée, victime d’attouchements ; d’une fille adolescente – découvrant le fantasme et le désir ; d’une fille devenue femme, puis mère (dans les années 1990) – pour sa fille, être fille, c’est avant tout être, tout simplement. Cette échappée symbolise, en même temps, la libération et la victoire de sa mère (« le rôle des générations s’inverse : c’est la mère qui reçoit le don de la liberté que lui transmet sa fille », explique Camille Laurens lors d’un entretien accordé à Gallimard). Une libération qui va jusqu’à l’affranchissement des genres : « C’est une fille » est aussi la formule qui annonce l’amour de sa fille pour une fille.

Le tout, retracé par la langue. « La langue nous modèle et nous structure profondément et inconsciemment. C’est le rôle de l’écrivain d’en faire prendre conscience au lecteur. » (propos tenu par l’auteur lors d’un entretien diffusé sur les ondes de France Culture).

Le mot fille est interrogé des premiers mots au dernier du récit. C’est un mot qui oscille : entre réalité et fiction (genre qui n’est pas sans rappeler Fils de Serge Doubrovsky, roman paru en 1977 qui invente l’autofiction. Camille Laurens préfère, quant à elle, parler « d’écriture de soi ») ; entre le déterminé et l’indéterminé (« Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il.) ; entre l’histoire intime et l’histoire sociale ; entre l’histoire avec un petit h et l’Histoire avec un grand H. Condition féminine. Mouvement du féminin et mouvement féministe face au patriarcat, face à la mainmise des médecins sur le corps des femmes, face à l’omerta des femmes (« l’essentiel est de cacher la honte ou de dénier la gravité du crime »). On est encore entre et entre.

Entre, toujours. Aussi à l’histoire d’une transmission.

Être une fille. Avoir une fille. Devenir.

Rappel d’une partie du « parcours de la femme »

1944 : (ordonnance qui donne le) droit de vote.

1949 : Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir paraît (On est fille « par défaut »).

1965 : indépendance financière avec droit à travailler et à ouvrir un compte en banque sans le consentement de l’époux.

Mouvement de libération amplifié dans les années 1970.

1974 : loi Veil et droit à l’I.V.G. (« MON CORPS M’APPARTIENT », lit-on page 129 ; la page suivante fera référence au M.L.A.C.)

2007, puis 2017 : mouvement MeToo (initié par Tarana Burke, et poursuivi par Alyssa Milano).

Ces mouvements de libération, sont aussi celle de la parole dont la loi tient compte. Même si l’ensemble reste fragile.

Céline De-Saër

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Diplômée en Lettres Modernes et en Français Langue Étrangère, Céline De-Saër est aujourd’hui animatrice d’ateliers d’écriture, formatrice, ainsi qu’accompagnante littéraire.
Elle intervient pour diverses structures : sociale, journalistique ; consacrée à la jeunesse, aux personnes dont le français n’est pas la langue maternelle, au public dit en difficulté.
Également auteur publié au sein de recueils collectifs ou encore de revues, elle s’inscrit dans des collaborations photographiques, projets artistiques, lectures à voix haute.
Entre texte-fragment et prose poétique, elle aime voyager, la méditation, le Tao Qi Gong, randonner en montagne et nager entre les eaux.

Ses prochains stage à Aleph : Écrire le monde (26 novembre au 17 décembre)

Module 5 (Formation Générale à l’écriture littéraire): Écrire à partir de sa vie (début: 1er décembre)