Cette semaine, Arlette Mondon-Neycensas vous propose d’écrire à partir du roman de Delphine de Vigan D’après une histoire vraie (J.-C. Lattès, 2015). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 28 février à l’adresse atelierouvert@inventoire.com
Extrait :
« Ce matin, là L. s’est assise sur le tabouret proche du mien. Elle portait une jupe droite, assez près du corps, je pouvais voir le muscle de sa cuisse se dessiner sous le tissu. Ses collants étaient sombres et légèrement satinés. J’admirais sa posture, qui soulignait la forme ronde de ses seins que je devinais sous son chemisier, cette manière d’ouvrir les épaules, juste ce qu’il fallait pour que cela paraisse naturel, presque nonchalant. J’ai pensé qu’il fallait que j’apprenne à me tenir comme ça, et puis les jambes aussi, l’une posée sur l’autre malgré l’étroitesse de la jupe, le corps de L. en équilibre sur un tabouret de bar, c’était une chorégraphie immobile qui se passait de musique et convoquait les regards. En l’absence de prédispositions favorables, cette posture était-elle reproductible ?
Il était sept heures trente du matin, je m’étais contentée de prendre une douche et d’enfiler un jean, un pull et des bottines, j’avais glissé les doigts dans mes cheveux pour me coiffer. L. m’a regardée elle m’a souri de nouveau.
Je sais à quoi tu penses. Et tu te trompes. Il y a une grande différence entre ce que tu ressens, la manière dont tu te perçois, et l’image que tu donnes de toi. Nous portons tous la trace du regard qui s’est posé sur nous quand nous étions enfants ou adolescents. Nous la portons sur nous, oui, comme une tache que seules certaines personnes peuvent voir. Quand je te regarde, je vois tatouée sur ta peau l’empreinte de la moquerie et du sarcasme. Je vois quel regard s’est posé sur toi. De haine et de méfiance. Affuté et sans indulgence. Un regard avec lequel il est difficile de se construire. Oui moi je le vois et je sais d’où il vient. Mais, crois moi, peu de gens le perçoivent. Peu de gens sont capables de le deviner. Parce-que tu caches ça très bien, Delphine, bien mieux que tu ne le penses.
- faisait mouche, la plupart du temps. Même si dans sa bouche les choses semblaient plus dramatiques qu’elles ne l’étaient, même si elle avait tendance à tout mélanger, il y avait toujours un fond de vérité.
- semblait savoir tout de moi, sans que je n’aie rien dit. »
Suggestion
D’après une histoire vraie est le dernier livre de Delphine de Vigan. Ce roman trouve son origine dans le livre précédent, Rien ne s’oppose à la nuit. Après le succès de ce livre, Delphine, la narratrice, se trouve dans un état de lassitude et de vacance. C’est ce vide que vient occuper L., une jeune femme rencontrée au détour d’une soirée : « L. était ce genre de femme qui me fascine exactement ». Delphine, fragile et friable, se retrouve dans l’image de L. : « Dans ses gestes, sa manière de se tenir, quelque chose chez L. évoquait moi ». Après un temps de séduction, Delphine lui ouvre sa porte, et l’étrangeté s’installe dans ce qui lui est de plus familier, sa maison. L. s’installe doucement, naturellement. Désormais plus rien n’appartient à Delphine.
Je vous propose d’imaginer un personnage, qui sera le narrateur de votre récit. Il traverse une crise : un deuil, une rupture, une trahison, comme vous voudrez : tout ce qui peut désorienter une vie. Dans ce moment de vacillation, le narrateur fait une rencontre providentielle avec un énigmatique personnage qui le devine, le comprend, le rassure. Il ne lui est pas tout à fait inconnu, il se reconnaît en lui, il y a peut-être même une légère ressemblance. Entre évidence et doute une amitié se noue…
Imaginez les circonstances de la rencontre, en vous centrant sur l’instant précis au cours duquel le narrateur se laisse aller à sa fascination pour ce personnage. La narration est à la première personne du singulier, le narrateur a le même prénom que le votre. Tenez également compte du caractère omniscient du personnage rencontré, il connaît tout de la vie du narrateur. Puisez dans les éléments de votre propre vie pour donner le sentiment de cette « omniscience » : les dates importantes qui ont marqué votre vie, les conditions de votre venue au monde, votre lieu de naissance, votre parcours scolaire et professionnel, le prénom de votre premier amour, vos petites manies pas toujours avouables, ce que vous aimez, ce que vous détestez (la liste n’est pas exhaustive). Racontez la fascination produite par cette rencontre : comment le personnage rencontré a séduit le narrateur, comment il s’est installé dans sa vie, comment il a saturé son espace psychique jusqu’à la déréalisation. Jouez avec les frontières de la réalité et de la fiction, brouillez les pistes et, quand votre lecteur pense avoir trouvé la clé du récit, tirez-lui le tapis sous les pieds !
Lecture
D’après une histoire vraie (J.-C. Lattès 2015) est le septième roman de Delphine de Vigan.
Après un parcours en entreprise, elle a publié en 2001 son premier roman autobiographique, Un jour sans faim, sous le pseudonyme de Lou Delvig.
Rien ne s’oppose à la nuit (J.-C. Lattès 2011), son avant-dernier roman, a rencontré un vif succès. Il a été considéré comme touchant, voire bouleversant par certains, et comme insupportable par d’autres. En tout cas, les lecteurs se sont montrés sensibles à son écriture autobiographique.
Quatre ans plus tard, avec ce nouveau texte, Delphine de Vigan livre un récit à la première personne, dans lequel Delphine est le prénom de la narratrice, elle-même écrivain.
Elle s’inspire des codes de l’univers de Stephen King et place d’emblée le lecteur en alerte. Pourtant, D’après une histoire vraie ne constitue pas tout à fait un thriller. Le récit interroge le rapport de l’écrivain à son écriture, à travers la voix d’un double aussi séduisant qu’inquiétant. La question est posée sous forme de débat entre Delphine et L. : « Oui les gens croient ce qui est écrit et c’est tant mieux. Les gens savent que seule la littérature permet d’accéder à la vérité. Les gens savent ce que ça coûte d’écrire sur soi, ils savent reconnaître ce qui est sincère et ce qui ne l’est pas. Et crois-moi ils ne s’y trompent pas. » affirme L.
Ce jeu de miroirs désoriente avec habileté le lecteur. Delphine de Vigan déconstruit l’idée, souvent naïve, que la vérité s’attrape de front. Elle interroge la porosité de la frontière entre fiction et réalité, réhabilite le mensonge, à l’instar « du mentir vrai » d’Aragon. La mise en abyme du récit et les chausses trappes tendues par l’auteure nous rappellent dans un même mouvement que, s’il a été dit que la vérité est menteuse, nous découvrons avec Delphine, que le mensonge, lui, ne trompe pas.
A. M-N.
Arlette Mondon-Neycensas conduit des ateliers d’écriture à Bordeaux et des ateliers par e-mails, ainsi que des ateliers ouverts en librairie (à Bordeaux et Bergerac).