Tout est parti d’un stage de yoga, un exercice au sol, puis dos à dos chacun a exploré ses sensations. Les émotions ont été diverses, de l’envahissement à l’accueil. Geneviève et Denis se sont rencontrés à un stage de yoga. Guillemette a rencontré Geneviève grâce à l’écriture, qui lui a présenté Denis… En est née une belle aventure humaine, ils ont décidé d’en faire un livre. 27 auteurs se sont pris au jeu. Nous avons rencontré le trio et publierons un extrait de leur livre chaque semaine jusqu’à mi-décembre.
L’Inventoire : Vous avez décidé de faire un livre rassemblant textes et images sur le thème du dos, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Geneviève : Denis a une grande capacité à porter les projets. En suscitant la rencontre entre Guillemette, écrivaine éprise d’images, et Denis, photographe et graphiste épris d’écriture, j’ai fait naître un trio amical et j’en suis très heureuse.
Denis : Nous n’avons pas décidé tout de suite de faire un livre. C’est en découvrant, plutôt avec bonheur, que ce thème du dos réveillait des souvenirs, des sensations enfouies chez nos interlocuteurs que l’idée d’agencer ces histoires s’est mise en place. Que l’existence d’un livre devenait possible. Notre rencontre, Guillemette l’explique parfaitement. Ce thème du dos l’a tout de suite enthousiasmée. Guillemette a su « alimenter » le projet. Le trio était né !
Guillemette : Il ne s’agit pas tant d’un recueil de témoignages que de variations sur un thème prenant différentes formes : images artistiques, fictions, essais, souvenirs, poèmes, jeux de langage. Le dos « concret » a servi de tremplin à l’exercice de la mémoire – y compris littéraire – , à l’imaginaire.
Un jour nous comprendrons que la poésie n’était pas un genre littéraire mal vieilli mais une affaire vitale, la dernière chance de respirer dans le bloc du réel. Christian Bobin
L’Inventoire : Le yoga a t-il servi de révélateur en ce qui concerne le corps, le fait de réaliser qu’on en a un et qu’on peut libérer quelques neurones en étant plus en accord avec lui ?
Denis : Sans doute le yoga a contribué et aidé à cette approche puisqu’il permet de prendre conscience du corps et du mental à la fois. Le yoga, pour celles et ceux qui pratiquent, reste un « outil » précieux pour le dos. L’esprit s’en trouve éclairé, l’écriture a pris forme.
Geneviève : Oui. Je crois que l’élan que nous avons eu, c’est à Pascale Brun, plasticienne et enseignante de yoga, que nous le devons. Pascale transmet le yoga d’une façon assez exceptionnelle, elle en fait un espace d’expérience créatrice, un art de bousculer les frontières entre nos sensations et nos pensées, comme l’écrivait aussi, à sa façon, Fernando Pessoa (« mes pensées, ce sont mes sensations… »). Pascale a d’ailleurs suivi avec intérêt la genèse de ce livre.
Extrait : « Donnez-moi un dos »
ERNESTO
Ma mère et moi nous habitons une petite maison dans le village, à trois kilomètres d’ici. J’ai toujours habité là. C’est la maison de l’école. C’était quand j’étais petit, sept ou huit ans. J’ai toujours été seul avec ma mère. Un jour, un homme est venu. Il y avait souvent des hommes qui venaient voir ma mère, des militants ou des mineurs qui ne savent par remplir des paperasses. Ça aurait pu choquer avec une autre femme ; mais tout le monde respecte ma mère dans le village. Les femmes viennent aussi, pour parler des enfants ou quand les hommes sont malades. J’étais dans ma chambre. Je devais jouer, sans doute, je ne me souviens plus. Je croyais que c’était un homme comme les autres, je ne faisais pas très attention. Un moment donné, j’ai entendu la voix de ma mère, et elle ne parlait pas comme avec les autres hommes. Alors j’ai écouté. Je ne comprenais pas bien ce qu’ils disaient, mais ils ne parlaient pas des mêmes choses que les hommes et les femmes qui venaient d’habitude. L’homme avait un drôle d’accent – c’est l’accent du Nord – et je ne comprenais pas la moitié des mots. Un moment, il a dit mon nom : « Ernesto ». Qu’est-ce qu’il me voulait ? Puis ma mère a dit : « Non, laisse-le. Va-t’en. » L’homme a encore dit quelque chose que je n’ai pas compris et ma mère a redit : « C’est fini maintenant. Va-t’en. » J’ai entendu la porte de la maison qui s’ouvrait, puis se refermait. Il était parti. Brusquement, j’ai compris. Je suis sorti de ma chambre en courant, j’ai traversé la cuisine et j’ai ouvert la porte de la maison. Un homme s’éloignait dans la rue du village. Il était grand. Il avait des épaules larges. Il ne s’est pas retourné. Ma mère m’a pris doucement par les épaules et m’a dit : « Viens, Ernesto, rentre. » Je lui ai dit : « C’est mon père ? » Elle a répondu : « Oui, c’est ton père. Il a une autre vie maintenant. À quoi ça sert de vous connaître si vous ne devez jamais vous revoir ? » …/…
Extrait de « Le dos », Alain Lercher | Éditions Verdier – 1992
L’Inventoire : Quel a été votre mode et votre rythme de travail ?
Guillemette : Personnellement, « je vais à sauts et à gambades », selon l’expression de Montaigne, que je m’approprie sans vergogne.
Denis : Étant graphiste de métier, j’ai tout de suite ressenti la nécessité de mettre ses textes en page avec l’image en regard. Le choix d’un format, la contrainte, pour chaque auteur.e, d’écrire un texte de 1500 signes. Ils et elles ont joué le jeu. Cela a représenté un gros investissement dans le temps. Je reste convaincu de l’originalité du projet. Ce recueil d’histoires de dos, à ma connaissance, n’a jamais été imaginé. Il existe à présent et nous lui souhaitons une vie au delà de notre trio. C’est un bon début avec vous et la publication de quelques histoires.
« La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi » , pour citer aussi Montaigne. Nous n’en avons jamais eu plein le dos, preuve que nous étions à nous-mêmes, ce faisant… Geneviève
L’Inventoire : Comment avez-vous recueilli tous ces textes et qui a choisi les photos ?
Guillemette : Nous avons cherché dans nos propres tiroirs et disques durs, demandé à nos amis et connaissances, regardé photos artistiques et documents, de façon à approcher le thème sous différents angles.
Denis : Le souci a peut-être été de trouver des visuels, des images à la hauteur des récits. Pas seulement des dessins ou des photos de dos. Je demandais aux auteurs leurs choix, nous en discutions et j’essayais de garder un cap qualitatif. Nous avons quelques belles images
L’Inventoire : Votre meilleur souvenir de ce projet ?
Guillemette : Souvenir ? Mais, on est en plein dedans, en plein présent ! Les souvenirs ce sera pour plus tard !
Denis : À chaque évocation de ce projet, il y avait un engouement, une envie de témoigner, de participer. Chaque récit avait, de fait, sa singularité, son originalité. Le meilleur souvenir sera la sortie du livre.
Geneviève : Je me souviens qu’au fil des mois mon regard s’est transformé, je voyais au quotidien dans l’art, la photo, la publicité, comment les dos étaient montrés et abordés. J’ai découvert que le dos était un immense sujet d’histoire de l’art, mais encore peu exploré.
L’Inventoire : Denis, à force d’engranger et de mettre en page ces histoires, Quelles nouvelles envies sont nées de ce projet ?
Denis : Je reste sensible à l’image. L’écriture ou plutôt l’envie d’écrire m’est venue lors d’un atelier d’écriture en vacances. Je m’investis actuellement sur un recueil de témoignages sur la voix, la voix parlée. Après le dos, la voix. Des contacts sont en cours. Plus j’écris, plus l’envie d’écrire s’installe. Je ne suis pas un grand lecteur, mais j’avoue laisser libre cours à mes désirs. Ils passent par les mots. Tout cela est relativement nouveau pour moi. J’en tire beaucoup de joie, de plaisir. Je vais animer prochainement un atelier d’écriture dans une yourte, proche de mon lieu de vie, si la COVID nous donne un peu de répit.
L’Inventoire : Guillemette, quel est votre parcours ?
Guillemette : L’écriture est une composante de mon existence, depuis toujours ; avec Aleph, j’ai rencontré jadis des conseillers qui m’ont permis d’approcher plus finement la nouvelle et l’autobiographie. J’ai publié nouvelles, poèmes et récits. Actuellement j’écris chaque jour. Depuis 1998, j’anime des ateliers d’écriture dans le cadre d’associations. En ce moment, toujours de manière bénévole, j’ai un atelier en ligne.
L’écriture constitue un lien régénérant entre les personnes en ces temps chaotiques.
L’Inventoire : Quelle est la force d’un trio comme le vôtre ? est-ce stimulant, et cela vous a-t-il mené davantage vers l’écriture ?
Guillemette : C’est une grande force que d’être plusieurs pour un projet. Dans mes ateliers d’écriture, depuis longtemps déjà, il y a un projet commun – avec professeur de yoga, danseuse, plasticien.
La proposition de Denis m’a énormément stimulée : une nouvelle dimension a été ouverte par la présence du « visuel », ainsi qu’une tension commune vers un projet concret, abouti. J’ai écrit des textes spécialement pour Donnez-moi un dos, en m’efforçant de « creuser » le concept, et aussi d’interroger la langue qui le définit.
Inventoire : Quel est votre parcours et comment ce projet a-t-il changé votre rapport à l’écriture ?
Geneviève : La littérature et l’écriture sont très présentes dans ma vie au quotidien. Littéraire et politiste, ce sont souvent mes écrits de politiste qui prennent le dessus. Ce travail collectif a redonné plus de place, dans ma pratique de l’écriture, à l’imaginaire, à la poésie. Guillemette vous embarque dans son rapport poétique au monde, il ne faut surtout pas résister !
J’écris des fictions. L’écriture est solitaire mais le partage est essentiel.
C’est l’effet de kaléidoscope qui m’a plu dans ce projet : les nombreux points de vue sur le dos, avec la mise en regard du texte et de l’image.. La dimension collective, bien sûr, à la fois dans le processus (le travail en commun) et dans le produit (comment se font écho dans le livre les productions individuelles).
Guillemette : C’est une grande force que d’être plusieurs pour un projet. Dans mes ateliers d’écriture, depuis longtemps déjà, il y a un projet commun – avec professeur de yoga, danseuse, plasticien.
La proposition de Denis m’a énormément stimulée : une nouvelle dimension a été ouverte par la présence du « visuel », ainsi qu’une tension commune vers un projet concret, abouti. J’ai écrit des textes spécialement pour Donnez-moi un dos, en m’efforçant de « creuser » le concept, et aussi d’interroger la langue qui le définit.
Inventoire : Maintenant qu’il vous faut trouver un éditeur pour ce projet, quelles sont les plus grandes difficultés rencontrées ?
Guillemette : Je crois que ce qui fait la richesse et la singularité de l’ouvrage – son caractère hybride, voire inclassable – peut être un obstacle à l’édition.
Denis : La difficulté d’être édité, nous la connaissons tous. Le thème original ne suffit pas. Les livres avec des images coûtent plus cher. Je compte continuer à faire connaître ce projet. Vous y contribuez.
Inventoire : De quels types de ressources /contacts auriez-vous besoin pour publier ? et comment pensez-vous le faire mieux connaître ?
Denis : Si ces premières histoires de dos ont retenu votre attention, c’est que ces récits insolites méritent une écoute, une attention. Ce sont des textes courts. L’image qui me vient : c’est comme sur un buffet accueillant, le choix des plats qui s’offrent à nous. Une envie de goûter à tout !
Geneviève : Des éditeurs qui s’intéressent à cette nouvelle forme de narration qui naît du collectif.
Inventoire : Pensez-vous poursuivre l’aventure à trois sur d’autres sujets ?
Guillemette : Pourquoi pas ? Je ressens beaucoup de plaisir à échanger avec des personnes comme Geneviève et Denis, à bénéficier de cette synergie. En ce qui me concerne, je suis toujours prête à m’investir dans un projet d’écriture mais, là, j’aimerais avoir – d’abord ou en même temps – des retours sur celui-ci, quel que soit le support qui permet de le diffuser.
Denis : Oui, l’aventure peut continuer ensemble. Le trio que nous sommes attend des suites sur ce livre. Avant de se lancer sur d’autres projets, mon souhait le plus cher serait de voir apparaître des signes tangibles ouvrant la voie à une publication papier. La recherche d’éditeurs se poursuit, à moins d’envisager une publication à compte d’auteur. Cependant, la diffusion numérique de ces premiers récits est déjà une grande satisfaction. En mon nom, je vous remercie de l’accueil fait à ces premiers récits en les publiant auprès de vos lecteurs.
Geneviève : Comme en yoga, nous sommes en chemin… un chemin assez joyeux.
DONNEZ-MOI UN DOS © GUILLEMETTE | DENIS | GENEVIEVE | Octobre 2020
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