Au mois de juillet, toute l’équipe de l’Inventoire vous conseille la lecture de livres qu’elle a aimés !
Histoire de la violence d’Édouard Louis (Seuil, 2016)
Une nuit de Noël, le narrateur, Édouard Louis lui-même, a fait monter chez lui un jeune homme, Reda. Ensemble ils ont pris du plaisir, avant qu’au petit matin Reda viole et cherche à tuer le narrateur. Qui, dans la journée, ira porter plainte.
Avec ce roman, Édouard Louis, tout jeune auteur de En finir avec Eddie Bellegueule, en finit avec le témoignage. Il invente un formidable dispositif à deux voix, où le narrateur et sa sœur, à qui il s’est confié, racontent alternativement cette nuit insoutenable et le jour qui a suivi. Il ouvre ainsi son texte aux infinies résonances personnelles, familiales et sociales d’un tel événement, jouant du dicible et de l’indicible. Une réflexion vertigineusement littéraire sur la violence.
Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard « Du monde entier », 2015)
La saga d’une jeune romancière nigériane qui a longtemps vécu aux Etats-Unis. Comme elle, Ifemelu, son héroïne, a quitté son pays pour étudier dans une université américaine. Là, elle a découvert qu’elle est Noire, et que cette couleur est un obstacle dans un monde blanc. Au bout de quinze ans, Ifemelu s’est forgé une place mais décide de rentrer.
Entre présent et passé, entre sociologie et romance et d’un continent à un autre, Chimamanda Ngozi Adichie nous parle de notre monde et de ses fractures, avec un sens du romanesque ample, joyeux et gourmand. Pour preuve, Americanah fait son miel tant de l’écriture des blogs que de la question de la responsabilité de la coiffure de Michelle Obama dans l’élection de son mari.
Neige silencieuse, neige secrète de Conrad Aiken (La Barque, 2014)
C’était aux jours sombres de novembre dernier, sur la table d’une librairie, il y avait un petit livre blanc avec ces quelques mots dessus : Neige silencieuse, neige secrète. L’auteur, Conrad Aiken, un écrivain et poète américain que j’ignorais, l’avait écrit en 1932.
Et c’était bien le texte qu’il fallait pour tisser autour de soi une distance cotonneuse, étrange et apaisante, comme le fait Paul, l’enfant héros de cette nouvelle d’une poésie inouïe. La neige, Paul la perçoit partout autour de lui, et il est le seul. Folie ? Magie ? La nouvelle ne tranche pas. Mais par la minutieuse description de la perception intérieure de Paul, elle fait retrouver le goût merveilleux de l’enfoui propre à l’enfance. A la lisière de la folie, ou pour mieux s’en protéger.
E.L.
Hélène Massip
Lire ou relire Dany Laferrière
Les éditions Grasset ont repris en 2016, sous le titre Mythologies américaines, les premiers romans de Dany Laferrière : Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer et autres romans de la Remington 22. Les éditions Zulma proposent trois titres qui évoquent les souvenirs d’enfance en Haïti : Le cri des oiseaux fous, L’odeur du café et Le charme des après-midi sans fin. Peut-être trouverez-vous aussi, en bibliothèque ou ailleurs, Pays sans chapeau (pas encore réédité), où l’auteur évoque, de sa délicieuse manière, mêlant anecdotes et proverbes, de drôle de dieux vaudous qui passent l’air de rien la frontière poreuse entre le pays réel et le pays rêvé.
Échapper de Lionel Duroy, Éditions J’ai lu, mars 2016
Partir dans les paysages de la mer du Nord. Aller à la rencontre des personnages d’un autre roman, La leçon d’allemand, de Siegfried Lenz, roman qui a fasciné le narrateur au point qu’il souhaite vivre dans le livre, alors que sa vie amoureuse se défait. Aller à la rencontre du peintre Emil Nolde, dont s’est inspiré Siegfried Lenz. Ce livre est une chambre d’échos sensible, qui parle aussi d’écriture. Page 107 : « – Mais vous écrivez quoi ? – Je vous l’ai dit : tout ce qui s’égrène sous mes yeux, j’essaie de tout noter, de tout garder – la pluie, le vent, la digue, les maisons, les gens… Cela paraît insignifiant mais insensiblement les mots construisent un objet… »
La claire fontaine de David Bosc, Verdier Poche, avril 2016
L’histoire est celle des dernières années de Gustave Courbet, en exil en Suisse, poursuivit en France, car à l’origine de la destruction de la colonne Vendôme pendant la Commune.
L’écriture emprunte aux toiles de Courbet, à son rapport charnel aux éléments, aux rivières et aux lacs où il jetait son corps, à la sensualité avec laquelle il aimait la nature, faire la noce et vivre libre de ses choix. Les personnages, les thématiques du récit, ramènent à l’œuvre. On le suit de près dans son rapport à son art, au désir, aux femmes, aux animaux, à la chasse. Dans son désir farouche de se gouverner lui-même.
Hélène Massip est bibliothécaire et également auteur de nouvelles, de poèmes et de haïkus. Dernière publication: « Au bout du compte », dans Quelles nouvelles, Editions La Passe du vent (2004).
Sylvie Neron-Bancel
Rosa Candida d’Audur Ava Ólafsdóttir, Éditions Zulma, 2010
A la mort de sa mère, Lobbi, passionné de roses et de jardins, fuit l’île glacée volcanique où il a grandi. Il quitte son père, son frère jumeau autiste et Flora sol, un bébé de 6 mois, conçue avec Anna, une nuit, dans la serre familiale, un peu par hasard. Il part restaurer une ancienne roseraie dans un monastère dans un pays où il ne parle pas la langue et emporte avec lui des boutures de la Rosa Candida, une rose sans épine…
J’ai aimé le ton léger, poétique, ironique parfois, le cheminement de ce jeune homme de 22 ans en quête de lui-même, les personnages qu’ils rencontrent, ce moine féru de cinéma qui l’aide à réfléchir et à répondre à certaines de ses questions, j’ai aimé l’éclat de ces roses qui parfume le récit, et cette petite Flora Sol qu’il retrouve…
Mémoire de fille d’Annie Ernaux, Éditions Gallimard, 2015
L’été 58, Annie Duchesne a dix-huit ans, lorsque pour la première fois elle part en colonie de vacances, échappe à sa famille, et se donne à un garçon. Première expérience sexuelle avec un homme, qui la prend et la repousse. Elle deviendra un objet de moquerie et de mépris dans toute la colonie.
Longtemps, Annie Ernaux a voulu écrire sur la fille de 58 mais elle repoussait toujours. Dans ce roman, il est question de honte, thème déjà abordé dans d’autres livres, mais ici il s’agit d’une honte de fille ».
Elle dissocie dans ce roman le Elle qui raconte les actes, le réel de cette jeune fille en 58, et la femme de 2014, qui prend la parole au je, s’approche de cette adolescente, cinquante ans plus tard, analyse cette expérience singulière, ce moment d’existence fondateur.
Ce je est un je collectif auto-sociobiographique. La mission d’Annie Ernaux n’est-elle pas toujours de parler d’elle comme expérience, de témoigner, afin que d’autres se reconnaissent ?
De très belles pages sur l’écriture, la mémoire.
L’intérêt de l’enfant d’Ian McEwan, collection Du monde entier, Gallimard (2015)
Fiona Maye, cinquante-neuf ans, brillante, juge aux affaires familiales est confrontée à une nouvelle affaire. Adam Henry, 17 ans atteint de leucémie, mineure, nécessite une transfusion. Ses parents membres des Témoins de Jéhovah, interdisent la transfusion qui pourrait le sauver. Après avoir entendu les deux parties, Fiona , qui traverse une crise dans son couple, se rend à l’hôpital auprès du garçon. La rencontre est troublante pour les deux. Elle va rendre son jugement et va se trouver confrontée aux conséquences de la décision qu’elle a prise.
Au delà de la problématique très intéressante sur la responsabilité vis à vis de l’autre, j’ai découvert une écriture très efficace, très sobre, très fouillé. Raconté à la troisième personne, l’auteur se tient tout près de Fiona, confrontée à sa propre réalité, ses hésitations, ses certitudes qui s’effondrent mais aussi, par instants, se tient hors d’elle. Livre qu’on ne lâche pas.
Sylvie Neron-Bancel est chargée de l’information et de l’orientation à Aleph-Écriture Lyon. Cet été, elle anime le stage Écrire Lyon, du 28 au 29 juillet.
Et aussi…
Chantiers et Histoires de Marie-Hélène Lafon (Buchet Chastel, 2016)
Mémoire de fille d’Annie Ernaux (Gallimard, 2016)
La fatalité du bonheur de Philippe Forest (Grasset, 2016)
Le piano oriental de Zeina Abirached (Casterman, 2015)
Melville de Romain Renard (Beauclair, 2013)
Ici de Richard McGuire (Gallimard, 2015)
Psychosociologue de formation, Catherine Malard est intervenante en écriture dans les milieux de l’éducation et de l’université, ainsi qu’auprès de populations en difficulté.
La passion suspendue – Entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre, Marguerite Duras (Seuil, 2013)
Le fracas du temps de Julian Barnes (Mercure de France, 2016)
Paris par coeur de Ludovic Janvier (Fayard, 2016) – sorte d’abécédaire, livre autobiographique en suivant les lignes de métro…
Écrivain, Isabelle Rossignol est responsable des ateliers par e-mail d’Aleph-Écriture