La première « Journée de la nouvelle », intégralement consacrée à la forme courte s’est tenue au Forum 104 à Paris, le 6 octobre. Une dizaine d’éditeurs y présentaient leurs derniers titres, et cinq tables rondes étaient proposées tout au long de cette journée dont Aleph-Écriture était partenaire.
Nous saluons la belle réussite de cet événement organisé par le Réseau de la nouvelle, puisqu’une centaine de personnes ont assisté aux débats envisageant la nouvelle, de son enseignement aux devenirs de sa publication. Retour sur la table ronde animée par Danièle Pétrès (L’Inventoire, Aleph-Écriture).
Durant cette table ronde, nous avons parcouru le spectre de l’enseignement de l’écriture littéraire en France avec Diego Vecchio, écrivain et enseignant du Master de création littéraire à l’université Paris-8, Delphine Tranier-Brard, directrice pédagogique d’Aleph-Écriture, et Valentin Grimaud, Conseiller Univers du livre et de la lecture à la DAAC (Rectorat de l’Académie de Créteil). Mais l’écriture s’apprend-t-elle ? et si oui comment ?
« Des ateliers d’écriture aux masters de création »
Diego Vecchio : « Décaler son point de vue en créant un auteur de toutes pièces »
Diego Vecchio fait partie des fondateurs du Master de création littéraire de l’Université Paris-8. Écrivain d’origine argentine, s’il écrit en espagnol, ses livres sont traduits en français. Après Microbes et Ours, tous deux parus aux éditions de L’Arbre Vengeur, L’extinction des espèces est son troisième roman traduit en français, paru chez Grasset en 2021[1]. Il anime un atelier annuel dans le cadre du master « Inventer un auteur imaginaire », ainsi qu’un séminaire : « Inventer des langues imaginaires ».
Le Master de création littéraire de l’Université Paris-8 a été créé depuis 10 ans, et Diego Vecchio fait partie de l’équipe pédagogique depuis ses débuts. Il indique « Nous nous sommes mis d’accord sur le fait de ne pas enseigner en fonction des genres littéraires (contre le découpage en genre, même si cela se fait ailleurs, en Argentine par exemple). La forme courte n’y est donc pas enseignée en tant que telle, puisqu’un espace de liberté est privilégié quant à la forme que vont prendre les textes des étudiants. Beaucoup de liberté est donnée aux étudiants du master « nous n’avons pas pour objectif de formater mais plutôt l’intention de déclencher une écriture ».
Quel auteur seriez-vous ?
En 1er année, l’atelier de Diego Vecchio, en parallèle de celui de celui d’Hélène Gaudy, se déroule au rythme d’une séance par semaine de 3 heures, pendant 12 semaines (3 séances par consigne d’écriture).
L’atelier animé par Diego Vecchio « Inventer un auteur imaginaire » permet aux étudiants de décaler leur point de vue tout en créant un auteur de toutes pièces, et de réfléchir ainsi à leur pratique en inventant de manière libre un personnage. Quel auteur seraient-ils, eux, s’ils étaient quelqu’un d’autre ?
Lors de cette problématisation de la consigne, sont proposées des lectures telles que Borgès, Bolaño, Chevillard... (l’histoire de l’écriture est abordée à travers ces lectures).
Diego Vecchio aime parler du « Daïmon », qu’il faut trouver en soi (c’est, chez Socrate, un génie personnel, une divinité intérieure qui inspire le jugement, un intermédiaire entre les dieux et les mortels). A travers son enseignement, il cherche à faire trouver à l’auteur-e cette sorte de singularité « inconsciente » qu’il n’est pas facile de saisir car nous sommes contaminés par une somme de discours très formatés. C’est ainsi un atelier dont l’objet est aussi de déconstruire ses propres pratiques d’écriture, afin de trouver sa singularité.
Diego Vecchio anime également le séminaire « Inventer une langue imaginaire ». Il y parle de l’expérience des avant-gardes poétiques, des surréalistes, de la poésie sonore, et de glossolalie « avoir lu ces textes religieux, psychiatriques, et d’autres, montrent qu’ils inventé une langue. On aborde ainsi le rapport à la langue maternelle, point aveugle. Le fait d’écrire dans une langue étrangère produit une déconstruction avec la langue maternelle. Par exemple, Becket plus baroque en anglais qu’en français. C’est ce décalage entre les langues qui peut permettre de trouver sa propre langue ».
Valentin Grimaud : « Faire écrire les élèves des lycées et collèges et les enseignants, se trouver par le langage. «
Pour écrire, il faut d’abord qu’on ait accès à cette pratique, qu’on s’en saisisse ou la dédramatise en quelque sorte, et ce, dès le plus jeune âge. Valentin Grimaud est conseiller du livre et de la lecture au sein de la Délégation académique à l’action culturelle et à l’éducation artistique (DAAC) de l’académie de Créteil. Il a écrit deux essais : « Céline Dion, vestale » (2022), et « Maria Carey, Casta Diva », (2020) tous deux publiés aux éditions Le mot et le reste. En tant que conseiller du livre, il met en relation les enseignants qui souhaitent accueillir des auteurs en résidence dans leur classe à travers différents dispositifs existants (Centre National du Livre, Maison des écrivains, Pass culture, etc.). Il développe également des ateliers d’écriture à l’attention des enseignants qui souhaitent écrire pour renouveler leur pratique.
Ce type d’intervention permet de changer le rapport de l’enseignant à ses élèves, et de retrouver le plaisir d’un échange autour d’un texte, libéré des notions rigides d’évaluation et de la contrainte de transmission d’un savoir académique. Des dispositifs nombreux, qui permettent souvent à des élèves en difficulté de se trouver, et surtout, « de se trouver par le langage« .
Delphine Tranier-Brard: « Rendre l’écriture, l’acte d’écrire, accessible à tous »
Directrice pédagogique d’Aleph-Ecriture, Delphine Tranier-Brard intervient aussi comme animatrice d’ateliers depuis 2012. Elle conduit cette année la Formation au métier de biographe, co-créée avec Michèle Cléach en 2014, et les Formations à l’animation d’ateliers d’écriture pour les passionnés qui souhaitent animer, comme celles spécifiquement conçues pour les auteurs.
Aleph a été fondé en 1985 par Alain André et un petit groupe d’enseignants en lettres. Animés pour certains par le désir de devenir écrivains, ils n’étaient pas satisfaits de comment la littérature était à l’époque enseignée à l’école. Aleph s’est donc au départ donné pour mission de rendre l’écriture, l’acte d’écrire, accessible à tous, d’accompagner chacun à s’autoriser à écrire, à trouver une porte d’entrée dans l’écriture.
S’inspirant des ateliers d’écriture présents dans les universités américaines depuis plus de 100 ans et qui n’existaient pas encore dans les universités en France, Aleph-Écriture a développé au fil du temps toute une gamme d’ateliers qui ont en commun leur propre approche pédagogique.
Quelle place est donnée à la nouvelle dans les ateliers d’écriture ?
Dans ce contexte la Nouvelle est une forme très intéressante et très pédagogique car elle permet de traverser les notions fondamentales du récit, dans un temps compatible avec l’atelier, qui est forcément limité. « On reçoit des écrivants plus confirmés pour lesquels on conçoit des parcours pédagogiques complets qui permettent de finaliser au bout d’un, 2 ans ou plus un projet personnel d’écriture longue : par exemple la 1ere année Écrire des nouvelles, puis Ciseler un recueil de nouvelles », indique Delphine Tranier-Brard.
Elle peut être une contrainte formelle dans l’atelier pour travailler des enjeux comme la chute du texte, comme l’ellipse, comme la densité d’écriture. On fait choisir un personnage principal, écrire les différentes étapes du récit : situation initiale, bascule, péripéties, situation finale, puis on propose un retravail : on coupe la situation initiale ou on la fait réécrire en deux phrases, puis une phrase, pour la faire démarrer directement à la bascule. On travaille les temporalités, l’étirement des secondes de l’avant drame par exemple, ellipse, conséquences/péripéties…
On assiste aussi à des nouvelles qui surgissent, comme cela, par surprise, produites par le temps court d’écriture, et l’urgence d’écriture créé par le dispositif d’atelier présentiel, que les lecteurs du groupe reconnaissent comme une nouvelle. Moi-même j’ai écrit ma première nouvelle au cours de la formation à l’animation, précise Delphine, c’était un texte à partir d’une consigne qui commençait par « je me revois », et la formatrice m’a tout de suite dit : Mais c’est une nouvelle ! ».
Faire le tour de la nouvelle et du texte court
Des tables rondes spécifiquement dédiées à la forme courte ont permis de l’envisager sous tous ses aspects : « Le laboratoire de la nouvelle », où cinq nouvellistes ont détaillé leur pratique. « La nouvelle en revues » était représentée par La Femelle du Requin, Pourtant, Graminées et Rue Saint Ambroise. La table ronde sur la fanfiction, nous a fait découvrir un genre développant des personnages hors du roman dont ils sont issus, et une écriture collaborative intense sur des plateformes dédiées. La table ronde autour de « La suite : une nouvelle voie pour la nouvelle », a permis de définir ce nouveau format textuel de nature autobiographique, entre roman et nouvelle, autour des livres de Florence Didier-Lambert, de Myriam Linguanotto et de celui de Julie Wolkenstein, « La Route des Estuaires », édité aux éditions P.O.L.
Un grand merci au Réseau de la nouvelle pour cette passionnante, dont nous attendons la suite l’année prochaine !Avant cela, La revue Rue Saint Ambroise viendra présenter la nouvelle livraison de sa revue le samedi 26 octobre prochain, de 15 à 17 heures dans les locaux d’Aleph ! Les nouvelles de trois lauréats du concours « Maison(s) », y seront publiés.
DP
[1]. Diego Vecchio est né à Buenos Aires en 1969 et réside à Paris depuis 1992. Après des études à l’Université de Buenos Aires, il soutient, en 2001, une thèse de doctorat à l’Université Paris VIII où il est aujourd’hui maître de conférences dans le département d’études hispaniques et pour le master de création littéraire. Après Microbes et Ours, tous deux parus aux éditions de L’Arbre Vengeur, L’extinction des espèces est son troisième livre traduit en français.