Tout le mois de juillet, l’équipe de l’Inventoire vous conseille la lecture de livres qu’elle a aimés ! Dernier volet de conseils cette semaine, avec deux membres de la rédaction de l’Inventoire.
Trop de bonheur, Alice Munro (Points 2009).
Alice Munro me touche parce qu’en toute simplicité, elle parle de « la pente » de la vie qui mène les gens, modifie les arrangements bien plus que les projets ou la moralité. Le hasard, les événements les plus ordinaires, des détails transforment le destin. Ses nouvelles commencent dans une direction que l’on croit être celle du récit. Mais le hasard – bête ou malin – emmène les personnages ailleurs. Il me semble que l’auteur estime que la question essentielle n’est pas la liberté, mais la complexité des relations et des échanges dans la communauté ou la famille, et qui est sans fin, avec les thèmes du désir, de la culpabilité, de la jalousie, et puis les thèmes féminins, la famille et les enfants, et du pouvoir dans tout ça. Une romancière sans concession (Nobel 2013).
La source vive, Ayn Rand (Plon 1997).
Si vous désirez lire un page turner cet été, vous ne quitterez pas votre transat avec ce gros livre publié en 1943 aux USA. Mais vous aurez envie à certains moments, comme moi, de jeter le livre dans les vagues, car vous serez écoeuré de tant vice, dans ce roman qui fut – et est toujours – le livre culte du Tea Party. Fresque grouillante de personnages étonnamment contemporains, dans une langue subtile malgré la traduction, c’est un livre acéré qui vous marque. D’autant plus si vous aimez l’architecture moderne – et que vous vous interrogez sur la perversité des humains.
L’énigme de l’arrivée, V.S. Naipaul (10/18 1991).
Afin de “guérir” – et on comprend qu’il se trouve sans sujet d’écriture -, l’auteur s’établit pour quelque temps dans la dépendance d’un château surplombant Stonehenge. Il examine son existence passée et présente, ainsi que son entourage : le jardinier, le chauffeur, l’invisible châtelain et son acedia, les arbres et les champs. La dégradation de l’environnement, la ruine du parc, de la demeure et d’un style de vie l’amènent à se demander s’il s’agit de destruction ou de transformation. Il observe en miroir le passage du temps sur sa propre création, en déplorant de n’avoir pas enregistré tous les “matériaux” de sa jeunesse, ignorant à l’époque que l’homme et l’oeuvre ne faisaient qu’un. Une leçon d’écriture dans une langue superbe. Le livre-méditation d’un grand auteur nobélisé en 2001.
Le dernier roman de Claudine Tondreau, « L’Adorante« , vient de paraître chez Samsa Editions. Avec Alain André, elle s’occupe de la rubrique L’Atelier Ouvert de l’Inventoire.
Danièle Pétrès
Sans nouvelles de Gurb, Eduardo Mendoza (Points Seuil, 1994).
Parfois, en vacances, tout ne se passe pas comme prévu. Pour se prémunir de toute chute de régime, « Sans nouvelles de Gurb » d’Eduardo Mendoza, est un livre dont l’humour ravageur vous remet les idées en place. Il s’agit du journal d’un extra-terrestre et de son acolyte en phase d’exploration sur la planète Terre. Point de chute: Barcelone. Apparence corporelle : Madonna pour l’un (Gurb), pour le narrateur, plusieurs, dont le duc d’Olivares. Gurb ne va pas se presser de donner de ses nouvelles car il n’est pas sans avantage d’être réincarné en Madonna…
Peu habitué aux pratiques terriennes, il arrive vite quelques mésaventures au narrateur.
« 8h01 : Ecrasé par une Opel Corsa.
8h02 : Ecrasé par une camionnette de livraison.
8h03 : Ecrasé par un taxi.
8h04 : Je récupère ma tête et je la lave à une fontaine publique située à quelques mètres du lieu de la collision. J’en profite pour analyser la composition de l’eau locale ».
Scientifique, divertissant, culte. 171 pages de bonheur ininterrompu. 6,3 euros.
Une chance unique, Erwan Desplanques (L’Oliver, 2016).
Toujours absurde, toujours remarquablement écrites. Ces dix nouvelles sont autant de récits taillés à l’os de l’ironie pour décortiquer les travers de trentenaires cultivés en recherche de réussite ou de paix intérieure. Impeccable, est le mot qui me vient immédiatement à l’esprit pour définir ce que je ressens à la lecture de ce recueil, qui amène la nouvelle au rang de l’art du portrait ; celle d’une génération qui sonde derrière son exigence de singularité et des meilleurs choix possibles, les gouffres difficiles à négocier que constitue tout ce qu’on a du laisser derrière soi.
Lignages, Brigitte Joseph-Jeannery (Editions Triartis, 2016).
Rondement menées, les nouvelles de Brigitte Joseph-Jeannerey interpellent par leur sens du détail et la façon dont elle brosse des personnages que nous pourrions connaître. Des histoires simples qui entremêlent les générations en mettant en écho leurs points de vue. Un kaleïdoscope mettant en mouvement des personnages apparemment sans histoires, pour les saisir à un moment de vérité.
J’enquête, Joël Egloff (Buchet-Chastel, 2016).
Reconverti en privé consciencieux, un quinquagénaire parachuté un 26 décembre dans un bled paumé entend bien démasquer celui qui a dérobé un élément essentiel de la célébration de Noël. Ses employeurs, le père Steiger et son sacristain, peu habitués aux enquêtes scientifiques, ne vont pas tarder à s’étonner de ses méthodes. Il faut dire aussi que le privé n’est pas venu en après-ski mais chaussé de simples chaussures de ville, et que l’enquête s’annonce difficile dans la neige. A l’occasion de la recherche des chaussures idéales pour trouver le coupable, Joël Egloff nous tient en haleine pendant 285 pages où aucun non-évenement n’affaiblit le suspense de l’affaire. Récit souvent hilarant des dessous très souterrains d’une enquête menée entre Noël et le Jour de l’an.
Danièle Pétrès est la rédactrice en chef de l’Inventoire. Elle a animé des ateliers d’écriture autour de la nouvelle, notamment pour Aleph-Écriture. Écrivain, elle est l’auteur de romans et de nouvelles publiés aux Editions Denoël, de pièces de théâtre et de scénarios.
Hervé Couton
Quand les lumières s’éteignent, Erika Mann (Le livre de poche, 1939)
C’est un texte un peu oublié, issu de la littérature de l’exil, qui mérite d’être lu pour comprendre le mécanisme de « nazification » de la vie quotidienne dans l’Allemagne des années 30. Erika Mann, fille de l’écrivain Thomas Mann, s’exile en 1933 d’abord en Suisse où elle continue à faire vivre son cabaret dans lequel elle raye Hitler et son parti, puis c’est aux États Unis qu’elle se fixe définitivement où elle se lance dans l’écriture. « Quand les lumières s’éteignent » a été publié en 1939 aux États Unis. Ce livre au titre évoquant la perte de la raison, portée jadis par le mouvement humaniste du XVIII eme siècle, et l’arrivée des ténèbres sur l’Allemagne, dénonce, à travers une série de 10 récits, tous inspirés du réel, la toxicité de ce régime ou le politique pénètre la vie privée.
Dans ces récits, Erika Mann convoque des individus d’une petite ville, relevant de différentes classes sociales, et donne de leur situation particulière une portée universelle. Ces individus mis en scène ne sont pas montrés comme des criminels ou de grands résistants mais comme des individus ordinaires que la raison, la conscience, ou la foi chrétienne conduit à l’interrogation et au refus de la corruption inhérente au « National Socialisme ». C’est donc un message d’espoir qu’Erika Mann a essayé de transmettre dans ce livre, un message sur « la lumière de la raison ».
Collaborateur régulier de la revue, Hervé Couton est photographe. En grand lecteur, il nous fait régulièrement part de ses coups de coeur. Ce livre méconnu est un texte particulièrement d’actualité.
Sur ce, nous vous souhaitons un bel été!