« Coup de vent à Trouville », un texte de Frédérique Guillaumat sur une oeuvre de D. Etcheverry

Un texte de Frédérique Guillaumat, écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture « Ecrire l’art, ou mon musée idéal » d’Aleph-Ecriture animé par Françoise Khoury.

CARTEL

Un samedi matin de septembre, mes pas m’ont guidée de la gare du Havre au MUMA, petit nom affectueux que les havrais donnent à leur Musée d’Art Moderne André Malraux. Face à la mer, le MUMA habillé de blanc et de larges baies vitrées vient égayer les immeubles aux façades beiges et aux balcons noirs du quartier.

Ciel un peu couvert, quelques gouttes de pluie – la farine comme on dit sur mon île – et une légère brise.

Le vent, le vrai, je l’ai trouvé dès l’entrée du musée. Il s’affichait en grandes lettres noires sur une vitre : « LE VENT – Cela qui ne peut être peint – 25 juin au 2 octobre 2022 ».

Tout était dit ! Je venais admirer celui qu’on ne peut pas peindre.

Intriguée et ravie de l’être, j’ai commencé à déambuler jusqu’à ce tableau au charme un peu désuet avec son cadre aux moulures dorées. En bas à gauche, la signature du peintre de cette huile sur toile : D. Etcheverry. Signature qui a attiré mon attention avec son écriture un peu enfantine et ce petit trait de peinture noire qui la souligne.

Je ne lis surtout pas le cartel ! Je veux imaginer.

Imaginer cette plage au sable brun bretonne ou normande.

Imaginer la saison, l’automne sans doute, à voir les vêtements que portent les personnes venues là profiter d’une dernière bolée d’air vivifiant avant les frimas de l’hiver. Chacun porte vestes, gilets comme on irait se promener dans les rues de la station balnéaire plutôt que sur la plage.

Et cette femme au centre du tableau qui semble retenir d’une main sa longue robe blanche soulevée par le vent et de l’autre main son chapeau dont le même vent aimerait s’emparer pour respirer le parfum de ses cheveux.

Le vent a déjà emporté le canotier de ce monsieur, ce parasol rouge et rose qui semble voler sur la plage et dont ne sait plus à qui il appartient. Au large, il bouscule les nuages.

Ce vent invisible dont je ressens le souffle à l’abri dans ce musée à l’air aseptisé par la climatisation.

Le vent, celui que l’artiste ne peut pas peindre, et qui est pourtant bien là.

Je le vois Denis, le peintre, s’accrocher à sa toile. Il tente de retenir ses pinceaux s’envolant les uns après les autres. Le brun du sable, le rose du parasol, le gris des nuages… Il ne lui reste en main que le blanc pour achever de peindre le chapeau de la femme avant qu’il ne s’envole lui aussi.

Là, devant ce tableau, dans ce musée à l’abri du bruit du monde, j’aimerais soudain être emportée par un vent facétieux.

J’en oublie de lire le cartel qui m’aurait raconté que cette huile sur toile « Coup de vent à Trouville » de Denis Etcheverry a été peinte avant 1907. J’aurais aimé cette imprécision. Comme si le vent avait aussi balayé les années de la vie du peintre.

Je repense souvent à cette œuvre, à ce qu’on ne peut pas peindre et qui est pourtant si présent. A ces mots qu’on ne peut pas écrire parfois et qui sont si pesants.

Ce samedi de septembre 2022, je n’ai eu qu’un regret en quittant le musée. Que la météo soit trop clémente. Que le vent ne se déchaine pas sur les plages et dans les rues du Havre.

Frédérique Guillaumat