Le lecteur, un voyageur immobile
Aller dans une bibliothèque pour en visiter dix autres peut paraître fou. C’est pourtant ce que nous propose la Bibliothèque Nationale de France, au travers de l’exposition inspirée du l’ouvrage éponyme d’Alberto Manguel « Les bibliothèques la nuit ». L’occasion d’une réflexion sur ce que représentent la bibliothèque et le livre pour chacun de nous.
Sous-titrée Bibliothèques mythiques en réalité virtuelle, l’exposition réalisée par Robert Lepage a été conçue pour fêter les dix ans de la Grande bibliothèque de Montréal. Elle propose de visiter virtuellement dix bibliothèques – imaginaires ou réelles – sélectionnées par le disciple de Jorge Luis Borges, Alberto Manguel.
Depuis le mois de mai, cette exposition est visible à la bibliothèque François Mitterrand qui a eu l’heureuse idée d’ajouter une première partie présentant du mobilier, des estampes et des dessins relatifs à l’univers des bibliothèques.
L’exposition débute donc par un meuble composé de soixante tiroirs abritant les fiches descriptives des ouvrages. Les moins jeunes d’entre nous se souviendront, amusés, de l’écriture des bibliothécaires qui remplissaient ces fiches ; avoir cherché où était classé un livre consistait à ouvrir ces tiroirs, en feuilleter les fiches pour trouver la côte de l’ouvrage. C’était avant l’informatisation des bibliothèques, cette dématérialisation qui nous a fait gagner un temps précieux.
La BNF possède également une remarquable collection d’ex libris(1), dont les plus beaux sont exposés ici. Leur présence nous interroge sur notre relation à l’objet livre, sur notre désir de marquer notre présence et notre possession sur l’œuvre d’un auteur.
L’exposition se poursuit par un moment inoubliable qui relève du fantasme : entrer dans la bibliothèque d’un écrivain qu’on apprécie tout particulièrement. Ici, c’est la bibliothèque de 30 000 titres qu’Alberto Manguel avait installée dans un presbytère du Poitou qui a été reconstituée. Le visiteur la parcourt, guidé par la voix de son propriétaire.
On entre dans une bibliothèque comme on entre dans une forêt. Des rangées de livres laissent l’impression d’un certain ordre, tout comme des rangées d’arbres, mais vous ne savez pas encore ce qu’est cet ordre. Quelqu’un a placé là des livres selon une certaine méthode, une méthode qui n’existe que dans sa tête. Une bibliothèque privée est donc une autobiographie de son lecteur, un reflet de l’esprit de ce lecteur, de ses goûts, ses préjugés, ses expériences et ses désirs.
Pour sortir de la bibliothèque de l’écrivain argentin, un gardien fait coulisser un pan de mur de la bibliothèque, permettant alors aux visiteurs d’accéder à une forêt très poétique. Les feuilles des arbres sont des pages de livres et les clairières abritent des tables sur lesquelles sont posées les mythiques lampes vertes de la Bibliothèque Nationale de France. Des casques virtuels attendent les visiteurs pour un voyage à 360° dans les dix bibliothèques choisies par Alberto Manguel.
Nous vous laissons la surprise de découvrir toutes les bibliothèques en n’en commentant que quelques unes.
La bibliothèque mythe fondateur
On plonge dans l’Histoire des bibliothèques avec le premier bibliothécaire, Ératosthène, qui au 3ème siècle avant J.C. fut nommé à la tête de la bibliothèque d’Alexandrie en Égypte. Cette bibliothèque mythique, dont l’ambition était de regrouper tous les savoirs, abritaient un exemplaire de tous les manuscrits existants. Il a fallu attendre le 21e siècle pour qu’elle soit reconstruite. Elle propose aujourd’hui la plus grande salle de lecture du monde. Brillante comme un deuxième soleil, près du port d’Alexandrie, elle nous éblouit par son architecture et sa symbolique.
La bibliothèque sous-marine
La bibliothèque du Nautilus est la plus littéraire de toutes les bibliothèques. Elle n’existait alors que dans l’imagination de Jules Verne et ses lecteurs de Vingt mille lieues sous les mers. Créée virtuellement pour l’exposition, elle permet d’assister à une conversation entre le capitaine Nemo et un hôte. Installé dans la bibliothèque, le Capitaine explique qu’elle ne contient pas de livres d’économie ou de politique, seulement 12 000 livres qui sont ce qui me rattache à la terre.
La bibliothèque qui renaît de ses cendres
En août 1992, la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Sarajevo, en Bosnie, a été incendiée. 90 % des livres ont été détruits. Au travers du casque, on assiste en direct, impuissants, à cet acte mémoricide. Les jours suivant l’incendie, le violoncelliste Vedran Smailovic est venu jouer l’adagio en sol mineur d’Albinoni dans les ruines de la bibliothèque. Le casque de réalité virtuelle donne à cet acte de résistance culturelle une résonnance inouïe.
La bibliothèque magique
La bibliothèque du temple Hase-dera, à Kamakura, au Japon, montre le pouvoir symbolique du livre. Il s’agit d’une bibliothèque rotative qui abrite des soutras bouddhistes du 16e siècle, empaquetés précieusement. Un homme peut faire fuir les mauvais esprits du temple en faisant manuellement tourner cette bibliothèque sur elle-même.
La bibliothèque sans livres
Cela peut surprendre mais la bibliothèque de l’université de Copenhague au Danemark est composée de dead books : les ouvrages ne sont ni consultables, ni empruntables.
Même sans livres, cette bibliothèque continue d’attirer des centaines de lecteurs. Ils viennent quotidiennement dans la grande salle de lecture pour y travailler sereinement. La réalité virtuelle nous laisse ici entrevoir des fantômes de différentes époques se baladant dans les lieux et nous montrant ainsi toute la puissance symbolique de ce lieu de connaissance
La visite virtuelle des bibliothèques achevée, on ressort de cette exposition enchantés. La technologie nous permet aujourd’hui, un voyage immobile au travers des bibliothèques du monde, de la même façon que nous l’effectuons au travers des livres depuis des siècles.
Jorge Luis Borges imaginait le paradis sous la forme d’une bibliothèque, Alberto Manguel lui rend un très bel hommage en nous permettant d’en apercevoir un petit morceau.
Nathalie Hégron
Ex libris : une marque figurant dans un livre afin d’en identifier le possesseur, collectionneur ou bibliophile. Cette marque textuelle ou illustrée peut être manuscrite, apposée au tampon sec ou gras mais aussi gravée ou imprimée.
Exposition La bibliothèque, la nuit. Bibliothèques mythiques en réalité virtuelle à la Bibliothèque François-Mitterrand – Galerie 2 du 16 mai 2017 – 13 août 2017
Par Nathalie Hegron