Écrire des nouvelles est une chose, composer un recueil de textes (nouvelles, fragments, lettres…) en est une autre. Laurence Faure proposera un stage à Paris autour de ce thème du 3 au 30 Juin 2023, pour vous aider à y voir plus clair. En attendant, voici deux ou trois choses à savoir pour travailler sur un recueil de nouvelles.
En regardant la publication de recueils de nouvelles depuis deux ans, on observe que les éditeurs privilégient souvent les recueils autour d’une thématique. Pourquoi ? On ne peut qu’émettre des conjectures à ce sujet, mais le lectorat français reste sensible au souffle romanesque et au charme des histoires. On trouve ainsi dans la production actuelle des récits brossant le portrait d’une époque (Conemara de Nicolas Mathieu), dans laquelle s’enchâsse l’histoire de plusieurs personnages. Sous cet angle, un recueil rassemblant plusieurs histoires autour d’une même thématique aurait un meilleur potentiel romanesque, donc, plus de chance d’être publié et lu.
C’est le cas du livre d’Arnaud Cathrine « Début de siècles », paru en janvier 2022, qui parcourt en 11 nouvelles des débuts de siècles (1920 et 2020). Ces histoires dont les titres sont énoncés au « je » (par exemple « j’ai le soleil au moins »), rassemblent les débuts de jeunes protagonistes (la première fois, la première vie commune), auxquels il adjoint un épisode de la vie de personnages emblématiques du 20ème siècle (Eileen Grey, Jean Cocteau, Jacques Rigaut). On est donc entre début et fin de parcours, avec l’amour pour dénominateur commun. Que ce panachage apparaisse artificiel ou pas, c’est une autre question.
Dans le dernier recueil d’Haruki Murakami « Première personne du singulier », c’est le pronom qui est identique aux 8 nouvelles. Écrire au « je », des nouvelles intemporelles comme sait les écrire Murakami est donc le fil rouge de la construction de ce recueil.
Cependant, cela ne s’arrête pas là, car pour faire « livre » il faut, même dans un recueil, développer un propos, qui par résonance existe au fil des pages pour trouver son aboutissement dans la dernière nouvelle. C’est le cas ici.
« Première personne du singulier » est la nouvelle de fin du recueil. Auparavant, nous croisons au fil des histoires un singe parlant qui converse en buvant de la bière et qui en sait plus sur l’amour que les êtres humains, un adolescent au milieu d’une montagne qui voit apparaître devant lui un vieux sage lui demandant de visualiser « un cercle qui possède un nombre infini de centres mais n’auraient pas de circonférence » parce que c’est la clé de l’existence, un garçon qui perd la mémoire quelques heures par semaine, une femme spécialiste du Carnaval de Schumann, dont la laideur masque la vraie nature, celle d’entraîner ceux qu’elle croise dans un piège. Il y a aussi un disque fantôme de Charlie Parker, et l’album des Beatles qui se promène sur la jupe corolle d’une adolescente.
Tous ces faux souvenirs, ces vrais doutes et ces fragments de réalité surgis entre veille et sommeil concourent à annoncer la nouvelle finale « Première personne du singulier ». Dans celle-ci, un homme, en arrêt devant ses costumes, comprend qu’il ne mène pas une vie mais deux en même temps, la seconde lui étant pour l’instant inaccessible. Phénomènes troublants, mémoire capturée de manière mystérieuse, les nouvelles diffusent ainsi au fil des pages, comme ces inaccessibles cercles sans circonférence, des ondes de doute, tel un galet lancé diffracte des ronds dans l’eau, celle d’une réalité imprenable par la raison seule. Il faut lire ce recueil intriguant, construit comme une méditation sur l’invisible qui nous entoure et nous agit sans qu’on le sache.
Parfois, chaque fragment d’une histoire contribue à former une histoire, c’est tout le pari des recueils de nouvelles d’Haraki Murakami.
Arnaud Cathrine « Début de siècles », Editions Verticales (janvier 2022)
Haraki Murakami : « Première personne du singulier », Editions Belfond (janvier 2022)